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Les Marocaines dépossédées du marché de l’huile d’argan par une multinationale française
#inegalites #multinationales #Maroc #femmes
Article mis en ligne le 15 juillet 2024
dernière modification le 12 juillet 2024

Bénéficiant de l’image « équitable » des coopératives féminines marocaines, l’huile d’argan est devenue un business rentable au Maroc. Sa production est aujourd’hui phagocytée par Olvea, un industriel français.

« C’est la chasse ! La chasse économique ! » s’exclame Saïd [1] dans un grand éclat de rire, pour ne pas en pleurer. Chef d’une entreprise marocaine d’extraction d’huile d’argan, l’homme a requis l’anonymat pour pouvoir parler librement de la concurrence. Produit traditionnel au Maroc, découvert en France et dans le reste du monde durant les années 1990 pour ses vertus curatrices et cosmétiques, l’huile d’argan fait, depuis, la bonne fortune des marques de cosmétiques européennes et étasuniennes.

La réputation de l’huile, à l’étranger comme au Maroc, est intimement liée à l’image romantique des coopératives où des femmes, assises sur des tapis, meulent à la main les amandons d’argan avec des moulins en pierre, au son d’envoûtants chants traditionnels. Loin de ces clichés, c’est aujourd’hui une multinationale française, Olvea, qui détient près de 70 % du marché, tandis que les 621 coopératives du secteur se vident inexorablement. (...)

La part de marché croissante des industriels, dont le groupe français, n’a longtemps posé que peu de difficultés dans un marché en croissance, mais, en 2015, la courbe s’est infléchie. Depuis, les exportations plafonnent : 1 202 tonnes ont été exportées en 2021, selon l’Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l’arganier, contre 1 348 tonnes en 2019. Les limites de la forêt — près de 800 000 hectares entre Essaouira et Agadir, sur la côte atlantique du Maroc — ont-elles été atteintes ? (...)

Gaulage, surpâturage, cultures intensives au milieu de l’arganeraie, réduisent chaque jour un peu plus ses capacités. Et la sécheresse accrue qui accompagne le réchauffement climatique ne laisse aucun répit aux arbres. Elle prive également de pâturage les troupeaux de dromadaires qui circulent habituellement plus au sud. Leurs bergers les guident alors vers l’arganeraie, où ils font de terribles dégâts en arrachant les branches de leurs puissantes mâchoires.

La chaleur a aussi favorisé les cultures intensives de fruits et légumes. Les serres immenses et les champs clôturés percent de toute part l’arganeraie dans la région d’Agadir et abaissent le niveau des nappes phréatiques, poussant les arganiers à aller chercher l’eau toujours plus profondément. (...)

Dans ce paysage, les différents producteurs d’huile d’argan se disputent une ressource structurellement limitée et de plus en plus rare : les fruits de l’arganier. (...)

Dans cette dégradation des conditions de production, le Covid-19 a marqué un basculement. « Depuis, les forêts d’arganiers de la région sont occupées par des cueilleurs illégaux : les femmes sont de plus en plus agressées lorsqu’elles se rendent en forêt. Face à ce nouveau réseau d’intermédiaires, elles ont perdu la bataille du contrôle de la ressource à la source », ajoute Bernadette Montanari. (...)

Depuis, les prix n’ont pas baissé, les fruits restant toujours aussi rares du fait des nouvelles conditions bioclimatiques et, quand il y en a, les cueilleurs illégaux ou les hommes des villages, les ramassent à la place des femmes. Des dizaines de coopératives féminines d’argan ont donc fermé, les autres survivent dans l’espoir de jours meilleurs.

« L’UFCA compte dix-huit coopératives de douze à quatre-vingt-sept femmes chacune. Neuf ont arrêté leur activité faute de matière première. Dans cette crise, nous avons réussi à garder un client sur trois », détaille Jamila Idbourrous. (...)

Coopératives devenues sous-traitantes (...)