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Les errances de l’école inclusive dans l’enseignement secondaire
#educationNationale #ecoleInclusive #enseignementSecondaire
Article mis en ligne le 29 octobre 2025
dernière modification le 26 octobre 2025

Je suis professeure certifiée retraitée et j’ai enseigné en lycée général et technologique de 1986 à 2021. Alors que 80 % des handicaps sont invisibles, ce qui représente 10 millions de personnes au total en France, la prétendue « école inclusive » n’est pas dotée des moyens suffisants. On ne doit plus compter seulement sur la bonne volonté et la bienveillance des enseignants trop souvent vantées hypocritement par l’Éducation nationale.

Les établissements tels les lycées généraux et technologiques sont souvent surdimensionnées et accueillent souvent entre 1000 et 1500 élèves sans compter qu’ils peuvent aussi être intégrés dans une cité scolaire comprenant également un lycée professionnel ou un collège. Bref une véritable usine à gaz tournant à plein régime de 8h à 18h, 50mns pour manger, 10mns de pause le matin, idem l’après-midi… sans compter les transports scolaires ! Ma fille concernée par la maladie psychique me confie : « il n’existe pas de lieu où se poser, se replier, fermer sa bulle » car les espaces et les temps sont conçus pour être toujours collectifs.

Durant mon activité professionnelle, mon regard et mes pratiques en lien avec les situations de handicap que j’ai rencontrées ont bien sûr évolué mais le constat que je peux en retenir aujourd’hui rejoint les remarques d’autres enseignants du secondaire encore en activité avec qui j’ai pu échanger.

Constat amer et frustrant qui concerne aussi bien l’annonce ou non du handicap, la mise en pratique des recommandations quand elles existent, l’absence de formation adaptée ou les difficultés pour y accéder, l’évaluation difficile des apprentissages, la prise en charge chaotique de l’élève dans l’établissement par les différents acteurs de la communauté scolaire.

À la rentrée scolaire, chaque enseignant de lycée prend en charge entre cent et deux cent cinquante élèves pour lesquels il(elle) ne reçoit que des informations générales mais très rarement sur les situations de handicap.

Si le handicap moteur est le plus évident à identifier surtout dans le cas d’un jeune en fauteuil, il n’est pas possible de deviner de quels handicaps (sensoriels, psychiques…) sont porteurs certains élèves. (...)

Les conséquences de toutes ces pathologies peuvent se confondre avec d’autres difficultés d’apprentissage. Aussi, l’annonce du handicap revêt-il une importance essentielle dans la relation pédagogique mais elle est souvent lacunaire.

Dans mes premières années dans l’Education nationale, au début des années 1990, j’ai constaté que le manque d’informations peut aller jusqu’au déni comme la première fois où j’ai été confrontée au handicap psychique d’un élève. (...)

Trente ans plus tard, c’est une enseignante du lycée professionnel attenant à mon établissement qui enjambe la fenêtre et se jette dans le vide sous les yeux de ses élèves. Les risques psychosociaux existent aussi du côté des professionnels dans l’Education nationale.

Aujourd’hui, la reconnaissance du handicap des élèves est l’affaire de la santé scolaire surtout dans la préparation d’un examen comme le baccalauréat. Cela nécessite une démarche, en cours d’année, à l’initiative de l’élève et de ses parents - à laquelle ils ne sont pas toujours préparés - et qui déclenche un protocole médical et administratif. Devant la pénurie de médecins scolaires plusieurs mois s’écoulent avant d’arriver à une reconnaissance éventuelle des difficultés des élèves. Pendant ce temps incertain, les enseignants font comme ils peuvent, ignorant trop souvent l’origine des difficultés d’apprentissage et adoptant alors un comportement pas toujours adapté.

Trop fréquemment, le service de santé scolaire retient les informations au nom du secret médical ce qui constitue un frein considérable et dommageable au travail des enseignants. Le médical se montre très peu coopérant pour soutenir la relation pédagogique. Or le pédagogique ne peut fonctionner que si auparavant s’opère une relation, une rencontre entre l’enseignant et l’élève. (...)

Il aura fallu, à une équipe de professeurs dont je faisais partie, batailler fort pour réclamer au service de santé scolaire des conseils lorsqu’une lycéenne atteinte d’une maladie psychique se frappe la tête contre le mur de la classe, se met à hurler, est prise d’une agitation physique excessive… Les professeurs choqués par ces comportements inédits étaient pourtant favorables à son maintien dans la classe mais l’unique réunion avec l’infirmière scolaire a tardé et il a fallu insister, relancer pour qu’elle concède à donner quelques indications sur comment réagir. C’est la seule fois où j’ai assisté à ce type de réunion.

La loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a été une étape décisive dans l’attribution et la reconnaissance du droit à l’éducation. Ce droit est réaffirmé par la loi de 2013 sur la refondation de « l’école de la République », ainsi que par la loi pour une école de la confiance de 2019, qui introduit le concept d’école inclusive.

Ainsi se sont multipliés un certain nombre de plans : plan d’accueil personnalisé (PAI), plan d’accompagnement personnalisé (PAP), plan personnalisé de scolarisation (PPS) … susceptibles d’apporter des aménagements de l’emploi du temps, des indications sur les équipements à fournir, les supports pédagogiques, le soutien en classe par un(e) accompagnant(e) d’élève en situation de handicap (AESH) pour certains séances… L’intérêt principal de ces mesures personnalisées c’est qu’elles s’imposent aux établissements mais leur application dans le quotidien laisse à désirer. (...)

les enseignants du secondaire sont démunis à double titre : ils ne connaissent pas les conséquences du handicap et ils n’ont pas reçu de formation adaptée. Ils sont ainsi doublement empêchés.

Dans mon expérience personnelle, les questions relatives à l’accueil et aux apprentissages des lycéens handicapés n’ont jamais été abordées dans ma formation de cycle préparatoire au CAPET (Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement technique) et par la suite en formation continue.

Cela peut aller aussi jusqu’au refus d’une formation comme l’apprentissage de la langue des signes quand on reçoit régulièrement dans sa classe des jeunes malentendants car elle ne rentre pas dans les clous (...)

Sans formation, sans outil pédagogique, on cherche, on tâtonne, on bricole comme on peut ! L’Éducation nationale répond par des recommandations de bienveillance sans concéder de moyens. (...)

L’accueil et la prise en charge d’un élève en situation de handicap présente des disparités selon les établissements car cela dépend aussi localement des convictions des acteurs de la communauté scolaire et donne lieu à de belles et rares initiatives que l’on souhaiterait voir généraliser. Ainsi un chef d’établissement peut-il mobiliser une équipe pédagogique. Lorsqu’une bonne cohésion existe au sein d’une équipe pédagogique, les actions sont mieux coordonnées. Un enseignant peut aussi être moteur pour faciliter l’intégration d’un jeune en situation de handicap dans son établissement. Mais les expériences malheureuses existent aussi et peuvent conduire à un échec scolaire…

Le plus souvent, tout repose sur la personne de l’enseignant, à savoir sa sensibilité, son histoire, sa détermination, mais aussi ses incertitudes, ses inquiétudes. (...)