
La France et son modèle du tout LGV gagneraient à s’inspirer de l’Autriche, le pays européen où le ferroviaire a acquis la plus forte part de marché, constate le journaliste Vincent Doumayrou dans cette tribune.
Vincent Doumayrou est l’auteur de La Fracture ferroviaire — Pourquoi le TGV ne sauvera pas le chemin de fer, aux Éditions de l’Atelier, et anime un blog. Il est aussi porte-parole du réseau européen #enTrain.
Trains bondés, retardés, supprimés à la dernière minute, manque d’entretien des infrastructures : depuis une dizaine d’années, les rassemblements de collectifs et syndicats se multiplient dans les gares françaises pour dénoncer les conséquences du sous-investissement dans le transport ferroviaire, notamment dans le réseau des trains de la vie quotidienne.
Pour mieux comprendre ce qui se passe, il peut être intéressant de regarder ailleurs, dans des pays où le train ne suscite pas un tel mécontentement. En Autriche, notamment, pays de l’Union européenne où il a acquis la plus forte part de marché, avec 28 % du transport de marchandises et 12 % du trafic de voyageurs, contre 10 % et 12 % en France en 2022.
Si l’importance du trafic voyageurs est identique dans les deux pays, celui-ci est beaucoup mieux réparti en Autriche, où des lignes d’autobus postaux en correspondance dans les gares desservent les territoires inaccessibles par le train. En France, il se concentre sur les seules lignes à grande vitesse (LGV) et sur l’Île-de-France.
L’amélioration du réseau existant d’abord (...)
En Autriche, l’État joue bien son rôle de bailleur de fonds. Ramenée au kilomètre de ligne, la dépense moyenne dans le réseau ferroviaire y est deux fois supérieure à celle de la France, d’après un rapport de l’autorité de régulation des transports (voir la figure 18, p. 10), et trois fois plus grande par habitant.
Mais la différence essentielle ne tient pas tant au montant alloué au réseau ferroviaire qu’à la philosophie des investissements. Historiquement, en effet, la France a choisi de concentrer les investissements sur un réseau de LGV, qui permet certes des temps de parcours imbattables entre grandes villes, principalement depuis Paris, mais porte préjudice au reste du réseau, victime de désertification et de désinvestissement — les lignes du Massif central notamment, où les liaisons transversales se réduisent comme peau de chagrin.
En Autriche, au contraire, les investissements portent en premier lieu sur l’amélioration continue du réseau existant. La construction d’une ligne nouvelle n’est choisie qu’en dernier recours, quand la ligne classique a épuisé ses potentialités de vitesse et de débit. (...)
Des trains moins rapides, mais plus nombreux (...)
la rénovation des voies profite à tous les types de trains, régionaux, de fret ou de grandes lignes, et les trains continuent de desservir les villes moyennes et les territoires intermédiaires. (...)
Au contraire, les LGV à la française gagnent du temps, mais aux dépens de la desserte des villes intermédiaires (...)
Plus de dessertes et de convivialité
Des fréquences très élevées compensent également les vitesses relativement modestes : trois trains par heure relient dans chaque sens Salzbourg à Vienne, alors qu’entre Paris et Metz les trous de desserte peuvent aller jusqu’à trois heures sans aucun train direct. En conséquence, le réseau ferré autrichien est deux fois plus parcouru que le réseau français (...)
De même, les métropoles régionales sont reliées entre elles par des trains relativement fréquents, comme entre Linz et Graz. Les dessertes en train régional sont également très développées. Le S-Bahn (équivalent du RER francilien) de Vienne assure environ 35 % des déplacements quotidiens.
Et alors qu’en France on parle tout juste de RER (réseaux express régionaux) à l’état de projet dans dix grandes agglomérations, pour « désenclaver certains territoires et décarboner les transports », chaque Land autrichien dispose déjà d’un réseau équivalent — même le Tyrol, dont la capitale, Innsbruck, de taille comparable à l’agglomération de Chambéry, n’est en aucun cas une métropole.
Le train autrichien ne cherche pas à imiter l’avion
Contrairement à la SNCF, les ÖBB ne cherchent pas à imiter l’avion : aucune règle ne limite la taille des bagages, le voyageur peut prendre place dans les trains de grandes lignes Railjet sans réservation obligatoire, ni faire la queue à des portillons d’accès. Il peut aussi déjeuner assis à la voiture restaurant. De ce fait, le climat y est plus convivial que dans les TGV. (...)
À ce constat peu favorable à la France, il faut ajouter qu’en Autriche, 96 % de l’électricité utilisée par les trains est issue de centrales hydroélectriques, une source d’énergie renouvelable particulièrement vertueuse d’un point de vue écologique.