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La vie des idées
Le souffle de la GenZ à Madagascar
#Madagascar #manifestations #GenZ
Article mis en ligne le 26 décembre 2025
dernière modification le 24 décembre 2025

De la mobilisation de la GenZ à l’effondrement d’une autocratie à Madagascar, la lecture en termes d’économie politique permet d’expliquer la chute du régime malgache.

À l’appel de la GenZ et dans le sillage des mobilisations au Népal, plusieurs milliers de personnes, principalement des jeunes diplômés, défilaient le 25 septembre dans la capitale malgache et d’autres grandes villes du pays pour dénoncer les coupures d’eau et d’électricité, mais aussi la corruption et les atteintes à la liberté d’expression. En dépit de leur caractère pacifique, ces manifestations furent violemment réprimées par les forces de l’ordre, faisant une vingtaine de morts. Dans les jours qui suivirent, le mouvement s’amplifia et les revendications se transformèrent : de plus en plus de manifestants exigèrent le départ du chef de l’État, Andry Rajoelina. Le 11 octobre 2025, ce dernier, qui, à la suite d’un coup d’État, avait occupé une première fois le pouvoir de 2009 à 2013, puis avait été élu président en 2018 et réélu en 2023, prit la fuite avec plusieurs membres de son régime, dont Mamy Ravatomanga, homme d’affaire et principal financier du régime. Quelques jours plus tard, Andry Rajoelina était destitué par l’Assemblée nationale pour vacance du pouvoir, et la Haute Cour Constitutionnelle investissait comme chef de l’État le colonel Michaël Randrianirina, qui avait appelé les forces de l’ordre à ne pas tirer sur les manifestants avant de rallier ces derniers sur la place de l’indépendance.

On est frappé par la soudaineté, la rapidité et la relative facilité avec laquelle s’est effondré un pouvoir qui semblait pourtant tout-puissant. Contrairement au Népal où la colère des manifestants s’était traduite par l’incendie de nombreux bâtiments publics et domiciles de personnalités politiques et par des affrontements violents avec la police (faisant en tout plus de 70 morts et 2 100 blessés), les manifestations à Madagascar sont restées dans l’ensemble pacifiques, malgré une répression féroce. Elles ont engendré peu de débordements, et la reprise du pouvoir par l’armée s’est produite sans aucun échange de tirs ni même réel déploiement de forces dans les rues. (...)

Le terreau : un contexte hautement inflammable

Économie politique de Madagascar : l’énigme et le paradoxe (...)

Depuis la fin de la crise du COVID-19, une certaine croissance du PIB par tête s’était fait jour, comme en atteste la Figure 1. Si les éléments de diagnostic restent fragiles, tant les données macroéconomiques sont peu fiables à Madagascar, cette croissance se traduisait de façon visible par la reprise d’activité dans certains secteurs urbains comme la construction ou l’hôtellerie. Cette circulation monétaire, largement ostentatoire et réservée aux élites, contrastait avec la dégradation accélérée des principaux services publics de base : coupures d’eau et d’électricité, effondrement du réseau routier, etc. Dans ce contexte et conformément au mécanisme décrit plus haut, les conditions étaient réunies pour le déclenchement d’une nouvelle crise socio-politique.
II Le détonateur : émergence d’une mobilisation

Le mécontentement de la jeunesse éduquée

La mobilisation de la jeunesse urbaine éduquée, mais prolétarisée, trouve ses racines dans ce terreau hautement inflammable. Ses aspirations liées à son niveau d’éducation sont contrariées par le sous-investissement et les dysfonctionnements du monde universitaire ainsi que l’étroitesse des débouchés qui la maintient longtemps en marge du marché du travail. Cet écart entre ses aspirations et les moyens de les satisfaire nourrit une frustration relative (Runciman, 1966 ; Gurr, 1970) d’autant plus importante que le monde des élites dirigeantes exhibe ses richesses en ville et sur les réseaux. Dans ce contexte, les défaillances du système énergétique (Diapason, 2025) ont agi comme un détonateur dont la mise en route a été provoquée par l’arrestation le 19 septembre de deux conseillers municipaux d’Antananarivo venus déposer une demande d’autorisation de manifester contre les coupures incessantes d’eau et d’électricité. Le déclenchement des événements et leur enchaînement relèvent plus d’un concours de circonstances que d’une action minutieusement planifiée.

Le rôle des réseaux sociaux

Mais ce sont les réseaux sociaux qui ont permis la mobilisation massive de la jeunesse (Lollia et Rayko, 2025 ; Lollia et al, 2025), et une nouvelle possibilité d’organisation horizontale sans leader et à distance de tout groupement politique préexistant. Inspirée fortement par l’expérience népalaise, la page Facebook GenZ Madagascar a ainsi rapidement rallié plus de 100 000 membres suscitant une identité collective générationnelle se retrouvant autour des valeurs de liberté, de justice, de lutte contre l’oppression et de loyauté, portées par le manga One Piece et que symbolise le drapeau pirate de Luffy (avec un chapeau de paille malgachisé) (Figure 3). Les réseaux ont permis d’organiser les rassemblements en fixant les rendez-vous, en signalant les points de passage pour accéder aux manifestations ou encore en indiquant l’emplacement des safe place pour le soin aux blessés ou l’entreposage de matériel. Ils ont aussi permis de relayer le mécontentement avec l’utilisation de hashtags tels que #TsyManaikyLembenana (Nous n’acceptons pas qu’on nous berne, qu’on nous écrase) ou#AvelaoIzahayHiaina (laissez-nous vivre), et la diffusion de vidéos témoignant des mobilisations et de la répression policière. (...)

Bravant les interdictions de manifester, les premières mobilisations avaient défendu leur légitimité au nom de la souffrance et de la nécessité, comme en témoigne la vidéo virale d’un étudiant implorant le président d’intervenir de toute urgence. Elles revendiquaient aussi fortement le non-usage de la violence. Ce n’est qu’en réaction à la répression disproportionnée du gouvernement (utilisant des bombes assourdissantes, recourant massivement aux bombes lacrymogènes, dont certaines à shrapnel, tirant sur la foule avec des balles en caoutchouc) que les slogans ont évolué vers un registre plus radical prônant le dégagisme des gouvernants, au premier rang desquels le chef de l’État. (...)

III La chute : comment la forteresse imprenable s’est effondrée comme un château de cartes

La relative facilité avec laquelle s’est effondré un pouvoir qui semblait pourtant tout-puissant oblige à en analyser ses fondements. Ses piliers, en apparence solides, reposaient sur un socle gangréné de l’intérieur.
Les piliers du pouvoir : fragmentation sociale et capacité de contrôle symbolique

À chaque période, la capacité du clan présidentiel arrivé à la tête de l’État à capter pour lui-même la plus grande partie des rentes économiques tient en bonne partie à la faiblesse des contre-pouvoirs. (...)

La population est, elle aussi, peu en mesure d’exercer un contre-pouvoir. On l’a rappelé plus haut, une immense partie d’entre elles est avant tout occupée à assurer sa survie. (...)

Les corps intermédiaires (associations, groupements politiques, …) sont très faiblement développés et il ne s’est pas constitué à Madagascar, comme dans de nombreux autres pays africains, un clientélisme de masse (Van de Walle, 2007), reposant par exemple sur une base ethnique. Le clientélisme y est au contraire de type notabiliaire (Razafindrakoto et al., 2024), consistant en une distribution de prébendes à des individus particuliers et en une tolérance à la corruption permettant aux fonctionnaires de s’assurer une rémunération supplémentaire (...)

Mais le pouvoir à Madagascar repose aussi sur sa capacité à exercer un contrôle par l’assujettissement symbolique de la population (Wachsberger 2024), même si les formes de contrôle physiques (surveillance, menaces, intimidation, répression) sont devenues de plus en plus prégnantes au cours des dernières années, bridant par la peur toutes formes de contestation.

L’assujettissement repose, lui, sur une série de traits culturels profondément ancrés, tendant à maintenir l’ordre établi, parmi lesquels le respect a priori des dirigeants politiques, la valorisation du fihavanana et le tabou de la violence. Le premier, hérité du mode de constitution de l’État malgache, est lié au fait que les dirigeants sont considérés comme des raiamandreny (père et mère), c’est-à-dire des parents œuvrant pour le bien de leurs enfants et à qui on s’en remet. (...)

Enfin, la société malgache est marquée par un profond tabou de la violence condamnant fortement son usage et réduisant la légitimité des mobilisations protestataires.

Un géant aux pieds d’argile

L’histoire politique de Madagascar a montré que ces piliers du pouvoir ont toujours été fragiles, le pouvoir pouvant être renversé lorsqu’un homme providentiel, concurrent du clan présidentiel, ou une coalition temporaire de concurrents, arrivent à mobiliser une partie des mécontentements populaires. En ce sens, la crise de 2025 ressemble en partie à celles qui l’ont précédée.

Un premier trait commun aux autres crises, quoique de plus grande ampleur, est l’étroitesse et la faiblesse du soutien dont disposait Andry Rajoelina. (...)

Un deuxième trait expliquant la chute du régime tient à la rupture du tabou de la violence (Razafindrakoto et al., 2024). La société malgache est en effet marquée par une forte aversion à la violence, tout particulièrement dans le jeu politique. Tout se passe comme si la violence n’était pas ou ne pouvait pas être une ressource stratégique. C’est d’ailleurs souvent l’usage même de la violence par le pouvoir en place qui précipite son remplacement (P. Tsiranana en 1972, D. Ratsiraka en 1991, M. Ravalomanana en 2009) et les changements de régime, même lors des crises, se font toujours de façon très peu violente. En recourant à une répression brutale et en faisant tirer sur les jeunes manifestants, Andry Rajoelina a perdu, comme ses prédécesseurs, toute légitimité, y compris aux yeux même des forces de l’ordre.

Cependant, la crise politique de 2025, catalysée par la GenZ, a aussi deux caractéristiques très différentes de celles qui l’ont précédée.

La première est le rôle qu’ont joué les réseaux sociaux. (...)

La deuxième caractéristique tient au mode d’organisation résolument horizontal de cette jeunesse, refusant toute forme de hiérarchie et de représentation et défiant les élites politiques plutôt que, comme souvent dans les crises précédentes, étant mobilisé par, ou suivant certaines d’entre elles.

Le monde politique malgache apparaît aujourd’hui en effet profondément discrédité. (...)

Conclusion : tout changer pour que tout reste pareil ?

La crise socio-politique de septembre-octobre 2025 et son dénouement avec l’effondrement du régime d’Andry Rajoelina, présentent des caractéristiques communes avec les crises récurrentes précédentes. En amont et sur le front économique, elles résultent toutes de la montée de frustrations engendrées par l’accaparement exclusif des bénéfices de la croissance par le clan présidentiel, qui exacerbe en retour les inégalités, jugées alors insupportables. Ce sentiment d’injustice est partagé à tous les niveaux de la société, des fractions des élites écartées du pouvoir aux citoyens ordinaires. Sur le front politique, le sentiment d’impunité du clan présidentiel et la dérive autoritaire qui en découle se heurtent à une très forte demande de démocratie de la part de la population, en dépit de conditions d’existence proche de la survie, pour la majorité. En aval, le renversement rapide et inattendu du régime en place traduit la fragilité intrinsèque du pouvoir à Madagascar dont nous avons montré les ressorts : fragmentation des élites, faiblesse du soutien clientéliste et rupture du tabou de la violence.

Ce sont ces derniers points qui distinguent le mouvement à Madagascar de ceux observés dans d’autres pays, par exemple au Népal où le gouvernement a été renversé, mais avec un niveau de violence beaucoup plus fort, ou encore au Maroc où la capacité de contrôle des institutions a permis le maintien du pouvoir en place. Quant à l’origine de ces mouvements, ce n’est pas leur nature qui les différencie, mais l’intensité des problèmes qui en sont le ferment, laquelle atteint à Madagascar des niveaux inégalés.

En revanche, la crise récente se distingue des précédentes sur plusieurs points. D’une part, elle a été lancée par une partie de la jeunesse, dont les revendications jouissaient d’un large soutien populaire. Si c’était également en partie le cas lors de la révolte de 1972, cette dernière s’appuyait sur des partis politiques d’opposition très structurés, alors que cette fois la classe politique dans son ensemble a été maintenue à l’écart et l’appel à un homme providentiel unanimement rejeté.

L’apparition des réseaux sociaux et leur mobilisation constituent aussi une nouveauté décisive (...)

La constitution d’un gouvernement de « refondation » place aujourd’hui Madagascar à la croisée des chemins. Elle pourrait se traduire par une confiscation de la révolte de la GenZ et de ses revendications, avec la mise en place d’un régime prédateur, comme ce fut le cas à l’occasion des crises passées ; en un mot, tout changer pour que tout reste pareil. Mais elle pourrait aussi amorcer un tournant décisif à même d’enrayer le cycle mortifère de délitement institutionnel et d’appauvrissement de masse. En ce domaine, on ne peut se livrer qu’à des conjectures, mais deux points permettent d’exprimer un certain optimisme. D’une part, la crainte de voir l’armée se maintenir au pouvoir pour longtemps, à l’instar d’autres pays ayant connu des coups d’État, par exemple récemment au Sahel, paraît peu probable, à l’aune des expériences passées. D’autre part, si un changement radical de mode de gouvernance du pays ne peut qu’être une œuvre immense et de longue haleine, la GenZ a montré qu’il était possible de faire sauter le verrou inhibant de la peur, de s’organiser grâce aux réseaux sociaux pour revendiquer ses droits, et de venir à bout d’un régime considéré inexpugnable. Gageons que cette expérience aura un impact durable sur la capacité de mobilisation citoyenne à l’avenir.