(...) Militer, c’est ne plus rien avoir à perdre ? Pas si sûr…
Quand j’étais adolescente, je me souviens de tous ces professeurs d’Histoire qui s’évertuaient à affirmer que si les révolutions avaient eu lieu, et notamment celle que la France a vécue en 1789, c’était parce que les gens, je cite, “n’avaient plus rien à perdre”.
Je ne m’étalerai pas sur les réels rouages de l’enclenchement d’un mouvement de révolte, car Mathilde Larrère en est une spécialiste qui en parle très bien. Par contre il me semble intéressant d’analyser et de réagir à ce que cette affirmation implique et comment elle peut impacter la posture militante.
Quand on n’a plus rien à perdre, a priori, cela signifie qu’on n’a plus rien à sauver, à conserver et donc à protéger. On peut foncer dans le tas et s’exposer à maintes formes de représailles, on n’en a que faire puisque rien ne peut nous toucher ou nous atteindre. Cela donne l’impression que pour devenir invulnérable, il ne faut plus tenir à rien. Ou alors, avoir des supers pouvoirs à l’instar de tous ces personnages de Comics sur lesquels on nous ressort des épisodes régulièrement.
Le soin militant, c’est avant tout se sentir en sécurité pour pouvoir agir (...)
Ne plus rien avoir à perdre”, cela peut vouloir signifier “ne plus avoir peur de perdre quoi que ce soit”. Et pour ne plus avoir peur de perdre quoi que ce soit, il n’y a pas seulement l’option de ne plus rien avoir (à perdre). Il y a aussi celle d’avoir réussi à mettre ce qui est important en sécurité pour ne pas avoir peur de le perdre.
Le soin militant est selon moi la démarche par laquelle on arrive à atteindre un tel degré de protection et de sentiment de sécurité qu’on peut envisager de se mettre en action :
D’une part sans avoir besoin d’attendre d’avoir tout perdu.
Et d’autre part sans risquer de tout perdre justement.
Le jeu du système : distiller la peur pour éradiquer toute protestation (...)
La peur est un mécanisme de survie inné
Si on s’en réfère aux théories darwiniennes du rôle de la peur dans l’évolution des espèces, c’est une émotion qui intervient en présence d’un danger et qui invite la personne qui la ressent à se mettre en action pour se protéger. Donc s’il y a peur, c’est qu’il y a danger ; et s’il y a danger, il y a besoin de protection.
Par exemple, si je vois un ours, j’ai peur, car je peux me faire déchiqueter la tête, et la protection dont j’ai besoin c’est une cachette (du coup je cours me planquer). Là, on est sur un danger matériel, réel et immédiat, mais le danger peut tout autant être symbolique, immatériel ou projeté. (...)
Dans notre société actuelle, je pense que l’on peut aisément affirmer que le coup le plus rusé que le capitalisme ait jamais réussi, ça a été de faire croire qu’on était en danger quand on ne jouait pas son jeu.
La soumission est l’un des trois réflexes de sauvegarde face à la peur
Le système actuel fonctionne majoritairement, si ce n’est quasi-intégralement, sur un rapport de domination. Lui-même alimenté par la peur des dangers qui sont placés au-dessus de la tête de ceux qui le composent. Ces dangers sont systémiques, institutionnels et prennent des formes aussi variées que subtiles avec lesquelles jouent celles et ceux qui tiennent les manettes de la domination.
On a peur de perdre son emploi et de ne plus avoir les moyens financiers de se loger, se nourrir et se soigner. On a peur de participer à une manifestation et de se retrouver arrêté.e, blessé.e voire mutilé.e sans être protégé.e par le système pénal et judiciaire.
Le capitalisme : marionnettiste de nos peurs (...)
À partir du moment où l’on prend la liberté de choisir son propre espace et son propre temps de contestation, le système entre en phase de répression. Dom Helder Camara, évêque catholique brésilien, a d’ailleurs rédigé un texte célèbre sur les trois formes de violence. Ici, Illustré en vidéo par Besancenot.
Le soin militant pour contrer la peur
Violence. Danger. Domination. Voilà comment s’articulent les éléments du système dans lequel nous vivons et que nous souhaitons critiquer, questionner, provoquer, voire renverser. Nous sommes dominé·es par un système qui instille la peur, et les violences qu’il nous fait subir alimentent le danger de manière permanente. (...)
C’est OK d’avoir peur
Cette mobilisation fait grand débat et j’ai pu assister, en direct ou via les réseaux sociaux, à des échanges parfois virulents au sein desquels je diagnostique avant tout l’expression de peurs individuelles et collectives.
Des peurs en pagailles, mais toujours légitimes (...)
Militer ne doit pas être un sacrifice (...)
La glorification des martyrs est selon moi une autre manifestation de la domination par la peur que le système s’amuse à jouer devant nous : si vous vous engagez, vous allez forcément souffrir et il faut être prêt à y laisser sa vie. Balivernes !
Le courage, c’est de ne pas se mettre en danger (...)
Avoir le courage militant, ce n’est donc pas se forcer à se mettre en danger. C’est complètement ok d’avoir peur, la question qui se pose c’est de savoir ce qu’on fait de tout cela.
Première étape du soin militant : identifier ses besoins
Deuxième étape du soin militant : se reposer sur la communauté (...)