(...) Pour faire simple, le silence – le silence absolu en tout cas… ça n’existe pas. Il faut donc plutôt le définir comme une expérience relative et subjective. Une interprétation de notre cerveau plutôt qu’un phénomène physique concret.
Mais ce n’est pas parce qu’on a du mal à le délimiter ou qu’il n’a pas de mesure objective que le silence est dénué de tout pouvoir. Un silence dans une conversation, au beau milieu de la nuit ou après une journée harassante sur un chantier peut tout à la fois être source de réflexion, d’inquiétude ou de détente. Cette année, des scientifiques de l’université Johns Hopkins ont d’ailleurs prouvé que notre cerveau « entendait » le silence, un peu de la même manière que les sons. Plus précisément, en remplaçant du bruit par du silence dans une célèbre illusion auditive, ils ont démontré que l’absence de son pouvait mener aux mêmes distorsions de perception que le son lui-même
Or, avec la multiplication des émissions de radio et de télévision, des vidéos et des reels, des podcasts et des vocaux sur WhatsApp, il semblerait qu’une partie de la population ait développé une certaine… allergie au silence. Au cours d’une étude longitudinale menée sur 5 ans, auprès de 580 étudiants, le chercheur Bruce Fell a constaté que ces derniers avaient tendance à perpétuellement s’entourer de bruit et à ressentir une certaine anxiété dans les moments de silence. (...)
Contrairement à ce que l’on pourrait présumer, il ne blâme pas tant les réseaux sociaux que l’habitude transmise par les parents ou les grands-parents d’avoir toujours un fond sonore, en gardant la radio ou la télévision allumée par exemple. Conditionnés pour vivre dans un environnement bruyant, ses étudiants perçoivent le silence comme quelque chose de déstabilisant, de gênant, voire de menaçant. (...)
Chambre anéchoïque : la pièce la plus silencieuse au monde (...)
On va dire que ce n’est donc plus à prouver : le silence, même s’il a d’autres bénéfices par ailleurs, peut causer du stress. Mais peut-il en causer assez pour rendre fou ? Que se passerait-il par exemple si l’on vous enfermait pendant une heure dans une chambre anéchoïque, une pièce si bien isolée qu’aucun son ne pourrait y entrer ni même rebondir contre ses murs ? Eh bien, on peut tenter l’expérience, et certain·e·s l’ont même déjà fait. Il existe plusieurs chambres anéchoïques à travers le monde et chacune est un petit bijou d’ingénierie. (...)
Certaines personnes rapportent, de manière anecdotique, avoir entendu les battements de leur propre cœur ou même avoir eu des hallucinations auditives durant leur séjour dans la chambre anéchoïque. Et on devine que pour une personne naturellement anxieuse, qui a du mal à se trouver dans un silence complet, la situation pourrait être pour le moins désagréable. (...)
ce n’est peut-être pas tant la qualité du silence qui importe, mais plutôt sa quantité. Pour savoir comment l’esprit humain résisterait à des jours, des semaines ou des mois de silence, on peut se tourner vers les récits d’explorateurs et d’exploratrices en milieux désertiques ou polaires. (...)
Nombreuses sont les histoires d’équipages rendus fous par les longs mois d’isolement sur la banquise, l’absence totale de vie, les nuits interminables et les sons de la glace pressant impitoyablement contre le flanc des navires (...)
Il apparaît donc que ni la quantité, ni la qualité du silence ne soient suffisants pour briser l’esprit d’un être humain. Et tant mieux. Mais peut-être existe-t-il un dernier facteur qui parvienne à faire tout basculer : la contrainte. Après une courte pause, je vous propose de vous joindre à moi pour une excursion dans l’ombre des prisons, loin des regards et des caméras, là où le silence est utilisé comme une forme de torture sur des milliers de détenus chaque année. On parlera du supplice de la salle blanche, du mitard et de cellule d’isolement, le tout en compagnie de deux ex-détenus qui ont accepté de partager leur expérience face au silence pour cet épisode.
Torture blanche : faire souffrir avec du rien (...)
L’isolement dans les prisons françaises (...)
Hallucinations, paranoïa : quand le silence fait perdre pied
Violences, humiliations, abus, les témoignages les plus terribles ressortent du mitard. Pour cet épisode, j’ai voulu me concentrer sur le sujet de l’isolement et du silence, mais si vous souhaitez en apprendre plus, je vous conseille le documentaire Mitard, l’angle mort, produit par Arte et disponible sur YouTube, ainsi que les nombreux témoignages recueillis par l’OIP, l’Observatoire International des Prisons. (...)
Silence ou solitude ?
Alors au final, l’ennemi, ce n’est peut-être pas tant le silence que la solitude. Même chez les personnes ayant perdu l’audition suite à une maladie ou à un accident, il semblerait que ce soit l’isolement social, plutôt que le silence soudain, qui contribue à accroître les risques de démence.