
Fabrice Riceputi, historien, spécialiste de la violence coloniale exercée par l’État français en Algérie, signe un ouvrage nécessaire sur le fondateur du parti d’extrême droite qui cherche aujourd’hui à effacer un passé indigne de la République. "Le Pen et la torture" fait le point de façon magistrale sur le séjour à Alger de Jean-Marie Le Pen, qui a avoué puis nié avoir pratiqué la torture.
Fabrice Riceputi, ancien professeur d’histoire-géographie à Besançon, a passé beaucoup de son temps à travailler sur le système répressif de la France coloniale en Algérie. Il collabore à histoirecoloniale.net, est associé à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP, axé sur la Seconde Guerre mondiale ainsi que sur certains thèmes de l’histoire contemporaine). Il co-anime avec l’historienne Malika Rahal (directrice de l’IHTP) le site 1000autres.org qui accomplit un travail considérable de recherche sur les disparus algériens, les arrestations, les tortures, les exécutions. (...)
Le Pen et la torture, sous-titré Alger 1957, l’histoire contre l’oubli, est vite lu : pas seulement parce qu’il couvre 134 pages mais parce que l’écriture est limpide, la documentation est importante mais distillée de telle façon qu’elle prouve la source sans envahir le texte. La démonstration, s’appuyant sur des récits de victimes et de témoins, des rapports de police et archives militaires, des ouvrages et articles fouillés, est implacable. Aujourd’hui, il y a une telle campagne d’extrême droite avec la complicité de certains médias et certains journalistes, qu’il est nécessaire que les historiens prennent la plume et publie dans une version accessible les contrepoints nécessaires. Je pense dans la même veine au livre de Laurent Joly la Falsification de l’histoire sur Éric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les Juifs.
Pour Fabrice Reciputi, il y a eu un élément déclencheur : la série d’émission de Philippe Colin sur France Inter intitulée Jean-Marie Le Pen, l’obsession nationale, en février 2023, dans laquelle le producteur estime que « le soldat Le Pen n’a sans doute pas pratiqué la torture en Algérie ». (...)
Lors d’une rediffusion l’été dernier, France Inter a précisé que la phrase plus que litigieuse était remplacée par la suivante : « On ne peut pas prouver que Jean-Marie Le Pen a torturé en Algérie mais c’est une possibilité », se fondant sur le fait que la justice a débouté Le Pen dans le procès qu’il avait intenté à l’encontre de Florence Beaugé (...)
On peut s’étonner de temps de prudence, même si le fait que Le Pen ait intenté de nombreux procès, qu’il a souvent gagnés, pour tenter de se blanchir peut expliquer ces pudeurs de gazelle.
La fable perverse des tortionnaires (...)
Comptant sur l’amnistie, l’ancien para confie tout de go au journal Combat le 9 novembre 1962 : « Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire ». Des plaintes ont été déposées dès mars 1957, et quelques publications s’en sont fait l’écho. Le Pen, ensuite, démentira avoir torturé mais justifiera la torture avec un argument classique : faire parler un poseur de bombes et éviter ainsi des dizaines de victimes. Sauf que l’auteur dément cette « fable perverse des tortionnaires », aucun exemple ne la confirme, par contre cette pratique prétendument destinée à combattre les terroristes a pour but de terroriser. (...)