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Mediapart
Le Parlement européen cède à Marion Maréchal et annule la venue de l’universitaire antiraciste Maboula Soumahoro
#extremedroite #racisme #UE
Article mis en ligne le 22 novembre 2024
dernière modification le 21 novembre 2024

Des élus d’extrême droite ont obtenu le report d’une table ronde interne au Parlement européen sur la lutte antiraciste, à laquelle devait participer l’universitaire franco-ivoirienne Maboula Soumahoro. Elle subit depuis des insultes et des menaces, jusque sur son lieu de travail.

C’est une « première victoire », s’est félicitée Marion Maréchal. La députée européenne d’extrême droite a obtenu, en moins de vingt-quatre heures, le report d’un échange contre le racisme organisé au sein du Parlement européen. « Nous serons très vigilants : ce report doit devenir annulation définitive », a mis en garde la cheffe du mouvement Identité-libertés, allié du Rassemblement national (RN).

Celle qui a déclenché l’ire des forces d’extrême droite s’appelle Maboula Soumahoro, universitaire franco-ivoirienne reconnue, spécialiste des questions antiracistes. Elle était conviée ce jeudi 21 novembre pour « débattre des solutions pour promouvoir l’égalité et l’inclusion au travail avec des représentants de haut niveau des sphères politique et administrative du Parlement européen », selon la description officielle de l’événement.

La discussion n’aura pas lieu. « En fin de semaine, j’ai reçu un coup de fil du Parlement disant qu’il y avait une pression exercée par l’extrême droite. Ils m’ont dit qu’ils ne savaient pas si l’événement allait être maintenu », explique Maboula Soumahoro à Mediapart.

La députée européenne Mathilde Androuët, affilée au groupe d’extrême droite Patriotes pour l’Europe et membre du RN, vient alors de lancer une offensive publique contre la maîtresse de conférences, affirmant dans un tweet que « l’antiracisme n’est que le cache-sexe du racisme anti-blanc ».

Son message est au départ peu partagé, mais il s’amplifie lorsque Marion Maréchal entre également dans l’arène, dénonçant « une conférencière anti-Blancs aux relents antisémites invitée pour former les employés du Parlement européen ». Dans une publication Facebook qu’elle adresse à la présidente du Parlement Roberta Metsola, elle demande « l’annulation » de la « formation » et « de faire toute la lumière sur les lacunes qui ont permis à cette conférence scandaleuse d’être organisée ». Le communiqué est également signé par les député·es d’extrême droite Nicolas Bay, Guillaume Peltier et Laurence Trochu.

La machine Bolloré tourne en pilote automatique

Il n’en fallait pas plus pour que la machine médiatique de l’empire Bolloré se mette en marche. CNews dégaine en premier un article pour dénoncer « l’indignation de certains eurodéputés », le Journal du dimanche emboîte le pas en présentant Maboula Soumahoro comme « militante “anti-Blancs” ». Dans les tréfonds du Web, le blog conspirationniste Égalité et réconciliation s’est bien sûr déjà fait l’écho de l’événement. Le site du journal d’extrême droite Valeurs actuelles ferme la marche le lendemain, insistant sur cette « invitation d’une experte controversée au Parlement européen » (...) .

« Les décisionnaires se sont mis d’accord sur le fait qu’il fallait reporter, pour calmer tout le monde. Ils m’ont laissée seule face à l’extrême droite », regrette Maboula Soumahoro.

En quelques jours, l’universitaire est bombardée d’insultes sur les réseaux sociaux. « Ce genre de réaction est systématique, depuis que j’ai commencé à faire des apparitions publiques. Mais là, c’est passé un cran au-dessus, comme l’extrême droite a de plus en plus de poids. Elle a lâché les fauves. » En plus des injures, la maîtresse de conférences à l’université de Tours a reçu des « menaces sérieuses », jusque sur son lieu de travail.

L’université a rapidement réagi. Contacté par Mediapart, l’établissement indique avoir effectué un « signalement auprès de la procureure de Tours », une « inscription dans le registre des dangers graves et imminents de l’établissement » et un « signalement auprès du cabinet de la préfecture ». L’université ajoute que la protection fonctionnelle va être accordée à l’enseignante, permettant de prendre en charge d’éventuels frais de justice. (...)

L’extrême droite toujours plus écoutée

Auprès de Mediapart, Maboula Soumahoro s’émeut aujourd’hui de l’inversion de la charge du racisme et de l’antisémitisme, brandie par des députés d’extrême droite contre une essayiste antiraciste noire. « C’est une agression sans nom, qui me rend folle. Parler d’antisémitisme avec l’extrême droite, c’est tellement irrationnel, désespérant et épuisant », confie celle qui voit « un glissement depuis quelques années » dans les termes du débat public.

« Avant, j’étais racialiste, décoloniale… Maintenant, on parle de racisme anti-Blancs et d’antisémitisme. Que l’extrême droite parvienne à endosser le costume de l’antiracisme et de la lutte contre l’antisémitisme, et que cette parole puisse être audible et crédible, c’est soit une ignorance crasse, soit un déni total de l’histoire de cette mouvance », ajoute-t-elle. (...)