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Mediapart
Le franquisme disséqué
#Espagne #franquisme #extremedroite #Europe
Article mis en ligne le 18 mai 2024
dernière modification le 12 mai 2024

À bientôt cinquante ans de la mort de Franco, une exposition à Toulouse propose une « anatomie » de la dictature espagnole, l’une des plus longues d’Europe. Et plusieurs livres d’historiens plaident pour en écrire une histoire « transnationale », et la replacer dans un cadre plus vaste.

exposition « Anatomie du franquisme », au musée de la Résistance et de la déportation, jusqu’en septembre. (...)

« Le contraste est tel entre la richesse de la recherche sur l’Espagne franquiste depuis trente ans, et l’ignorance crasse dans laquelle la France se trouve, qu’il fallait absolument présenter ces nouveaux travaux », explique François Godicheau, historien à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, et commissaire scientifique d’un cycle d’événements sur le franquisme, dont l’exposition fait partie. (...)

Le choix de Toulouse n’est pas anodin, la plus espagnole des villes françaises ayant été la « capitale de l’exil » lors de la Retirada. Mais l’exposition ne revient pas sur l’épisode bien connu de l’exil des républicains durant et après la guerre. Elle décline en détail les piliers du régime franquiste (la Phalange, l’armée et l’Église), décrit la famine des premières années (200 000 morts de faim dans les années 1940) et documente l’endoctrinement des plus jeunes via l’école.

À l’étage est disséquée « l’épuration systématique de la société » à travers la mise en place d’un système répressif vertigineux (des milliers de condamnés à mort républicains dans les grandes villes après la victoire de 1939, 300 000 fonctionnaires victimes de purges, un million de prisonniers civils, politiques ou de guerre en janvier 1940...). Ce qui fait écrire aux commissaires de l’exposition que « ce long cortège de mesures punitives dépassèrent de loin les dictatures italienne ou portugaise, et même l’Allemagne nazie, jusqu’à l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale ».

Répondre aux falsifications (...)

François Godicheau. Décrire le franquisme comme une dictature paternaliste, autoritaire certes, mais pas beaucoup plus, et qui a aussi modernisé le pays, est une catastrophe. Ce type de discours constitue un point d’appui pour Moa et d’autres aujourd’hui, dans un contexte de ce que la “fachosphère” décrit comme une bataille culturelle. »

Cette première exposition, un peu à l’étroit dans les murs de ce musée départemental (trois salles à peine), laissera la place, l’an prochain, à une deuxième partie, davantage centrée sur les résistances au franquisme et au contexte international de la guerre froide.

« Juger Franco ? »

Cette préoccupation d’inscrire la dictature franquiste – la plus longue d’Europe occidentale après celle de Salazar au Portugal – dans une histoire européenne plus vaste, et même internationale, se retrouve au cœur du livre important que vient de publier Sophie Baby, autour des enjeux et impasses de la criminalisation du franquisme (Juger Franco ?, La Découverte). À rebours d’une « trajectoire ibérique périphérique », où « l’Espagne n’apparaît qu’en pointillé dans les histoires générales de l’histoire contemporaine », l’historienne plaide pour redonner à l’Espagne une place centrale « dans l’histoire de la confrontation des sociétés occidentales aux violences de masse qui les ont déchirées ».

Sophie Baby cherche à comprendre pourquoi Franco « n’a pas été jugé et ne le sera jamais ».

Au nom de la réconciliation nationale, la loi d’amnistie mutuelle de 1977 n’a pas provoqué la rupture institutionnelle qui aurait permis par la suite de juger des crimes du franquisme. (...)

Mais l’originalité du travail de Sophie Baby consiste à aller chercher bien au-delà les éléments de réponse à cette question encore si sensible en Espagne : que peut le droit face aux crimes d’État ? (...)

Le livre de Sophie Baby, tout en nuances sur ces années complexes d’après-1975, rejette les oppositions faciles entre vengeance et pardon, mémoire et oubli. (...)

Juger Franco ? Impunité, réconciliation, mémoire - Sophie Baby