
Indigné par la rente d’invalidité proposée par son assurance privée, et face à la faiblesse de la protection sociale agricole, François Chabré, paysan roannais, souhaite attaquer une filiale du Crédit agricole en justice.
Le 10 octobre dernier, François Chabré, paysan de soixante ans, a vu le ciel lui tomber sur la tête. Ce jour-là, après des décennies de travail dans sa ferme et alors que des problèmes de santé l’empêchent physiquement de travailler comme avant, il a appris que son assurance invalidité ne lui reconnaissait qu’un taux d’invalidité de 35 %.
Celle-ci, souscrite chez Predica, filiale du Crédit agricole, l’a informé qu’il n’a droit qu’à 380,80 euros par mois — somme de laquelle il doit encore déduire sa cotisation mensuelle car, faute de compensation suffisante, il doit continuer à travailler. Quelques jours plus tard, l’assureur lui a confirmé au téléphone l’information du courrier, et lui a expliqué qu’il a, en 2012, coché la case « invalidité fonctionnelle » et non pas « invalidité fonctionnelle et professionnelle ».
Poussé par un engagement politique fort, François Chabré a décidé de porter son combat dans les médias, puis en justice. (...)
« Comme souvent chez les paysans, mon père a poussé son corps au maximum », explique Samuel, son fils. (...)
« Quand j’ai commencé à sentir le vent tourner, je me suis replongé dans les contrats que j’ai signés au fil des années », raconte-t-il. En 2012, François Chabré a été démarché par Predica pour signer un contrat d’assurance complémentaire, couvrant les accidents et l’invalidité. « Grâce à mes années à la Confédération paysanne, j’avais en tête que la MSA n’allait pas suffire pour m’aider en cas de coup dur. »
Le contrat lui était proposé par une connaissance, François avait confiance. « Je me suis dit qu’une émanation du Crédit agricole, banque qui a quand même été créée par et pour les paysans, saurait me proposer une assurance adaptée à mon travail. Je ressentais de la loyauté envers eux. » Au début de l’année 2023, François Chabré a appelé Predica pour vérifier ses droits. « Une dame au téléphone m’a confirmé que je pouvais espérer environ 1 000 euros. » Un échange que Predica, contactée par Reporterre, n’a pas souhaité commenter. (...)
« Cette lettre, ça a été un effondrement. Ses yeux s’embuent, il s’excuse. Disons que je comprends comment certains se passent la corde au cou. » La nouvelle ébranle la famille Chabré. Samuel, le fils, publie alors un texte qui, en quelques jours, a fait le tour des réseaux sociaux : « Hier, j’ai vu pleurer mon père dans la cuisine, un papier à la main. »
Auprès de Reporterre, l’organisme d’assurance précise : « Bien que cette réclamation [le texte publié sur les réseaux sociaux] ait été exprimée en termes de revendication politique, et non pas en défaut d’exécution, nous avons immédiatement repris contact avec notre client pour nous assurer de la bonne compréhension de la situation et pour lui proposer une contre-expertise à nos frais, proposition qui lui a été formalisée. Cette nouvelle expertise pourrait conduire à une révision de la pension. » (...)
« Cette histoire donne à voir la faiblesse structurelle de la protection sociale agricole », dit Samuel Pinaud, sociologue à l’Irisso, l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales. « Les indemnités journalières sont très faibles alors que le paysan doit payer un salarié agricole pour le remplacer. Et si, par malheur, il n’est pas à jour dans ses cotisations à la MSA, il n’aura pas le droit à cette somme », ajoute Marie-Andrée Besson. Depuis sa ferme de la côte roannaise, François Chabré remarque : « Finalement, j’aurais sans doute eu un meilleur sort si j’avais été au régime général de la Sécurité sociale. » (...)
« Rien, dans le contrat, ne permet de différencier les deux cases à cocher, ce qui constitue un défaut d’information majeur », explique Arié Alimi à Reporterre. De son côté, Predica dit à Reporterre que « d’autres recours sont également possibles, dont principalement auprès du médiateur de l’assurance, non saisi à ce jour à notre connaissance ». (...)