Le mois dernier, l’administration Trump a imposé une limite de dépenses de 1 dollar à la plupart des cartes de crédit émises par le gouvernement que les employés fédéraux utilisent pour couvrir leurs frais de voyage et de travail. Les conséquences se font déjà largement sentir.
À la National Oceanic and Atmospheric Administration, les scientifiques ne sont pas en mesure de commander du matériel utilisé pour réparer les navires et les radars. À la Food and Drug Administration, les laboratoires accusent des retards dans la commande de fournitures de base. Au Service des parcs nationaux, les employés annulent des voyages pour superviser des travaux d’entretien cruciaux. Enfin, au ministère de l’agriculture et à l’administration fédérale de l’aviation, les employés craignent que des projets essentiels ne soient bloqués. Dans de nombreux cas, les employés sont déjà dans l’incapacité de remplir les fonctions de base de leur travail.
"Plus cette perturbation durera, plus le système s’effondrera", a déclaré un responsable de l’USDA, sous couvert d’anonymat car il n’est pas autorisé à parler aux médias de la crise qui se profile à l’horizon.
Un chercheur de l’Institut national de la santé, qui teste de nouveaux vaccins et traitements sur des rongeurs, explique qu’il a dû suspendre ses expériences, car son laboratoire n’est pas en mesure d’obtenir certains matériaux nécessaires, tels que des anticorps, qui sont indispensables pour évaluer la réponse immunitaire. "Nous avons ici des animaux qui vieillissent et qui seront bientôt trop vieux pour travailler avec eux", déclare le chercheur, qui a requis l’anonymat car il n’est pas autorisé à parler publiquement de l’agence. Les jeunes souris et rats âgés de 6 à 8 semaines sont généralement utilisés pour les études sur les médicaments et les vaccins, mais certains des animaux de leur laboratoire ont maintenant dépassé cet âge et devront peut-être être euthanasiés.
Les employés des NIH ont utilisé des listes de diffusion internes pour demander des réactifs et du matériel de laboratoire à d’autres bâtiments ou institutions afin de tenter de compenser les pénuries, mais ils ne sont pas toujours en mesure de trouver ce dont ils ont besoin. Le NIH est composé de 27 instituts et centres, et son campus de Bethesda, dans le Maryland, est réparti sur plus de 75 bâtiments. "Parfois, on a besoin de quelque chose de très spécialisé, et on ne peut pas le trouver ailleurs sur le campus", expliquent-ils.
Ce changement intervient alors que le "Department of Government Efficiency" (DOGE) d’Elon Musk continue de traquer les prétendus exemples de gaspillage au sein du gouvernement fédéral. À la fin du mois dernier, le DOGE a annoncé qu’il s’efforçait de "simplifier" le plus grand programme de cartes de crédit du gouvernement, qui émet des cartes de voyage et d’achat GSA SmartPay pour les employés fédéraux. Mercredi dernier, l’agence a déclaré que 24 000 cartes avaient été désactivées.
Le programme de cartes de crédit permet aux fonctionnaires fédéraux de contourner la procédure habituelle d’achat de biens et de services. Selon un rapport du ministère du commerce datant de 2002, "en évitant la procédure formelle d’achat, la GSA estime les économies annuelles à 1,2 milliard de dollars". Cela permet également aux fonctionnaires fédéraux d’éviter de payer la taxe sur les ventes pour des dépenses dont le gouvernement est exempté.
À la FDA, les laboratoires qui analysent les échantillons pour s’assurer que les aliments, les médicaments, les dispositifs médicaux et les cosmétiques sont sûrs et conformes aux normes réglementaires sont déjà confrontés à des pénuries. "Bien que nous soyons toujours très conscients de la date à laquelle le financement du Congrès sera épuisé, nous sommes en mesure de commander des fournitures pour que le laboratoire puisse continuer à fonctionner. Cette fin abrupte nous a donné l’impression qu’on nous tirait le tapis sous les pieds", explique un employé de la FDA qui a requis l’anonymat car il n’est pas autorisé à parler aux médias.
L’employé a récemment passé une commande de pointes de pipettes, un matériel de laboratoire essentiel, mais il s’est rendu compte que cette commande avait été mise en attente. "Maintenant que nous sommes à court, nous demandons à nos collègues d’autres bureaux de partager ce qu’ils n’utilisent peut-être pas", a déclaré l’employé à WIRED.
En outre, les travailleurs affirment que les laboratoires de la FDA doivent désormais passer par une longue procédure pour commander de l’azote liquide, qui est utilisé pour faire fonctionner les congélateurs ultra-froids. Ces congélateurs permettent de conserver des échantillons de cellules et d’autres matériaux biologiques qui reflètent des années, voire des décennies, de recherche. Les retards dans l’obtention des réservoirs d’azote liquide pourraient détruire ce matériel. Auparavant, les nouveaux réservoirs pouvaient généralement être acquis le jour même de la demande. Aujourd’hui, il faut environ une semaine pour recevoir un réservoir après avoir introduit une demande.
Une employée de l’Agence pour la protection de l’environnement explique que son établissement n’est pas en mesure de passer des commandes régulières d’azote liquide pour le moment. "Nous avons des dizaines de congélateurs remplis d’échantillons environnementaux importants qui risquent d’être perdus parce que nous ne pouvons plus recevoir nos livraisons régulières d’azote liquide", explique l’employée, qui a requis l’anonymat. Ces échantillons sont utilisés dans le cadre de recherches sur les méthodes de détection et d’assainissement de substances chimiques telles que les PFAS, qui se trouvent dans de nombreux produits et se décomposent très lentement au fil du temps.
"Les scientifiques sont obligés de bricoler les points de connexion de ces congélateurs pour accepter des pressions d’azote liquide pour lesquelles ils n’ont pas été conçus", explique l’employé. "Les divisions ont recours au troc pour obtenir les articles dont elles ont besoin.
La FDA et l’EPA n’ont pas répondu immédiatement à une demande de commentaire de WIRED.
Le gel des cartes de crédit signifie également que les chercheurs fédéraux qui travaillaient sur des manuscrits scientifiques ne peuvent pas payer les frais de publication, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas soumettre leurs travaux à certaines revues pour publication.
Un employé d’un laboratoire fédéral de police scientifique a déclaré à WIRED que les limites de dépenses signifient que le laboratoire n’est plus en mesure de payer l’envoi de preuves aux agents, ce qui met fin à sa capacité à travailler sur les dossiers. Avant qu’une affaire ne soit jugée, les accusés ont le droit d’accéder aux preuves que l’accusation a l’intention d’utiliser contre eux et de les examiner, ce qui inclut l’accès aux preuves de leur dossier. Les accusés peuvent, s’ils le souhaitent, envoyer ces preuves à un laboratoire extérieur pour analyse. "Les affaires ne peuvent pas progresser tant que nous n’avons pas renvoyé les preuves", explique l’employé du laboratoire de police scientifique, qui a demandé à garder l’anonymat. "En fait, je ne peux pas faire mon travail en ce moment.
Les employés du NIH ont été informés que les cartes de voyage ne pourraient pas être utilisées pendant 30 jours, ce qui a contraint les scientifiques à annuler leur participation à une importante conférence sur les maladies infectieuses la semaine prochaine. Les employés du laboratoire de technologie d’identification des parasites de l’USDA ont stocké des réactifs utilisés pour les tests moléculaires en prévision des limites de dépenses, selon le fonctionnaire de l’USDA.
Les employés de la FAA qui voyagent pour travailler sur les systèmes d’aviation et les tester craignent que le gel des cartes de crédit ne les empêche de mener à bien leurs projets. "Nous sommes autorisés à utiliser nos cartes personnelles en cas d’urgence, mais aucun d’entre nous n’a confiance en leur capacité à nous rembourser maintenant", déclare un employé.
Le Service des parcs nationaux n’est pas épargné. Un employé s’apprêtait à partir en voyage pour superviser l’entretien des routes d’un monument national lorsque le changement est entré en vigueur le 20 février. "À moins de vouloir payer moi-même, je ne peux pas y aller. Je ne peux pas payer mon hôtel, ma voiture de location, le carburant pour la voiture. Maintenant, je ne peux plus mener à bien ma mission", explique l’employé. "Aujourd’hui, au lieu de me concentrer sur d’autres tâches, je me concentre sur trois éventualités différentes quant à la manière de gérer cette situation. Dois-je partir ? Est-ce que j’appelle mon équipe d’ingénieurs pour leur dire de reporter la mission ? Et si oui, quand ? Le projet est en suspens pour une durée indéterminée".
Une note de service adressée au personnel du Service des parcs nationaux précise que "tous les déplacements qui ne sont PAS liés à la sécurité nationale, à la sûreté publique ou à l’application des lois sur l’immigration doivent être annulés s’ils commencent le mercredi 26 février et se poursuivent jusqu’à la fin du mois de mars 2025". Une décision à long terme sur la politique de voyage sera prise "à une date ultérieure". Certains membres du personnel du NPS ont pu voyager en février bien qu’ils n’aient pas reçu d’autorisation officielle. Ils viennent d’apprendre qu’aucun voyage ne sera autorisé en mars. À ce jour, environ 75 voyages ont été annulés ou reprogrammés, selon une source au fait de la situation.
Le Service des parcs nationaux n’a pas répondu à une demande de commentaire de WIRED.
Certains fonctionnaires affirment avoir été prévenus avant l’annonce du changement, le 20 février. "Nous sommes allés acheter des caisses et des caisses de papier toilette la nuit précédente", explique un autre employé du Service des parcs nationaux. "Il y a une reconnaissance générale du fait que les choses vont se casser.
Cet employé travaille dans la région Pacifique Ouest, qui gère les terres fédérales en Californie, à Hawaï, dans l’Oregon, à Washington, dans l’Idaho et au Nevada, ainsi que les parcs de l’Arizona, du Montana, de Guam et des Samoa américaines. Bien que la GSA ait prévu la possibilité d’exceptions à cette mesure, l’employé affirme qu’il n’y a que quatre cartes d’achat avec des limites de dépenses supérieures à 1 $ disponibles pour toute la région.
Certains de ces parcs paient des services tels que l’internet et le sans-fil avec des cartes d’achat, ce qui amène les employés à se demander si leurs appareils de travail ne seront pas bientôt coupés. "Avant que quelqu’un puisse réparer une salle de bain, un ordre de travail doit être émis", explique l’employé actuel. "Cela se fait par voie électronique. Comme toute entreprise, nous nous appuyons sur le courrier électronique, Teams et le chat pour faire avancer les choses.
Les limites de dépenses reflètent la croyance de Musk dans la budgétisation à base zéro. Après avoir racheté Twitter, il a réduit le budget à zéro et a obligé les employés à justifier chaque dépense. Il a également gelé les cartes de crédit des employés.
Avec la suspension des paiements par Twitter, nous étions en réunion à une heure du matin un samedi, et nous nous sommes dit : "Hé, désactivons les cartes de crédit pour voir ce qui va se passer"", a expliqué l’investisseur providentiel Jason Calacanis sur le podcast All In en février. (Calacanis faisait partie de l’équipe de transition de Musk chez Twitter.) "Et bien sûr, nous avons commencé à recevoir des appels ... Les personnes qui viennent en premier sont probablement celles qui sont les plus impliquées dans l’escroquerie.
Les employés voient les choses différemment. "Il y a tellement de contrôles en place pour s’assurer qu’il n’y a pas de fraude", affirme l’actuel employé du NPS. "Je crois honnêtement que la seule fraude qui se produit est commise par Musk, [Russell] Vought et [Donald] Trump."