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Mediapart
La France dégradée par Standard & Poor’s, l’exécutif ridiculisé
#dette #austerite #deficitpublic
Article mis en ligne le 3 juin 2024
dernière modification le 2 juin 2024

Si la dégradation de la note financière de la France par S&P n’aura qu’un impact très limité, voire inexistant, sur les conditions d’emprunt de notre pays sur les marchés, le camouflet politique est réel pour Emmanuel Macron. Et les conséquences sur sa politique économique pourraient être lourdes.

Est-ce bien surprenant ? Après avoir concédé fin mars 2024 qu’il s’était trompé sur ses prévisions de croissance économique, de recettes fiscales et de déficits publics, l’exécutif vient de voir, vendredi 31 mai, la notation financière de l’État français dégradée par Standard & Poor’s (S&P). La note est passée de AA à AA−, et c’est seulement la troisième fois que S&P la dégrade, après janvier 2012 et novembre 2013.

L’agence de notation américaine explique sa décision, d’une part, par la hausse non prévue du déficit public de la France à 5,5 % du produit intérieur brut (PIB) en 2023, alors que Bercy avançait jusqu’alors le chiffre de 4,9 %. D’autre part, elle indique ne pas croire, contrairement à ce que promet le gouvernement, que le déficit passera sous les 3 % du PIB d’ici à 2027, au regard de la dynamique limitée de l’économie française. (...)

Pour S&P, la France a maintenant la même note financière que la République tchèque, la Slovénie ou l’Estonie, loin derrière l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède ou le Danemark, lesquels sont toujours notés AAA, la note maximale. Les deux plus grandes économies mondiales n’atteignent toutefois pas ce niveau pour S&P : les États-Unis sont notés AA+ et la Chine A+, moins que la France.

À quelques jours des élections européennes, cette dégradation de la note française est néanmoins un camouflet politique pour le gouvernement, malgré les tentatives du ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, d’affirmer le contraire dans Le Parisien. L’exécutif se voit attaqué sur le cœur de la promesse d’Emmanuel Macron, jadis considéré comme « un Mozart de la finance », qui se disait capable de réformer la France et de mettre tout le monde d’accord sur la robustesse du modèle économique du pays. (...)

Il y a extrêmement peu de chance que la France, malgré le niveau élevé de sa dette – 110 % du PIB –, se retrouve à emprunter plus cher auprès des fonds de pension, banques et autres assureurs du fait de cette décision de S&P.

En effet, les marchés financiers n’ont pas besoin des agences de notation pour se rendre compte que les finances d’un État se détériorent ou non. Surtout qu’ici, tout était connu depuis la fin mars. Ils ont donc déjà intégré la situation actuelle. (...)

Il faut aussi dire que les agences de notation ne sont pas les entités les plus visionnaires sur les marchés financiers. Elles se sont entre autres trompées en 2008, au sujet de la plus grande crise financière connue depuis 1929. Elles avaient pris les fameux subprimes pour des produits financiers sûrs, alors que ce sont eux qui ont fait s’écrouler tout le système. Leur crédibilité auprès des opérateurs financiers en a été durement affectée.

La France conserve en fait une bonne signature sur les marchés, car sa dette reste très prisée. Elle est la grande économie européenne qui sollicite le plus les marchés pour refinancer sa dette. Or les dettes souveraines des principales économies de la zone euro sont parmi les actifs financiers les plus sûrs qui sont échangés et mis en garantie. Elles permettent le bon fonctionnement des marchés, et constituent en quelque sorte leur matière première. (...)

Par ailleurs, la régulation financière impose aux assureurs et aux banques de posséder à leur bilan des actifs sûrs, comme les dettes souveraines. Les marchés ont donc autant besoin de la dette française que la France a besoin d’emprunter. (...)

les fonds de pension, assureurs et autres banques qui prêtent à la France ne vont pas se priver pour faire pression sur Bercy pour imposer plus d’austérité. In fine, en contrepartie d’un accès facile aux marchés financiers, c’est un rôle limité de la puissance publique et la destruction du modèle social qui seront à nouveau demandés.

En somme, sans remise en cause de l’« ordre de la dette », pour reprendre l’expression de l’économiste expert du sujet Benjamin Lemoine, il ne sera jamais possible pour la France de mettre en œuvre, comme l’aimerait la gauche, une planification écologique massive ou la reconstitution de pôles publics majeurs.

S’il doit arriver un jour, un changement de politique économique radical devra s’accompagner d’une réflexion sur le mode de financement de la chose publique. Benjamin Lemoine le disait dans nos colonnes, « il faut s’attaquer au cœur du réacteur, et réfléchir à une démarchandisation du financement de l’État et de l’économie ».

Pour ce faire, il y a la méthode douce, qui consiste concrètement à changer de cap entre les recettes et les dépenses. C’est-à-dire faire davantage peser la charge fiscale sur les grandes entreprises et les plus riches, mais aussi réorienter les 160 à 200 milliards d’euros d’aides publiques distribuées chaque année au secteur privé.

Et puis, il y a certainement des réflexions plus profondes à mener autour du financement des déficits publics (...)

  • mettre en œuvre une « redomestication » de la dette, c’est-à-dire faire détenir la dette française par des agents résidant en France, via l’assurance-vie notamment. (...)
  • Deuxième piste : le retour à un « circuit du Trésor », le modèle des Trente glorieuses, par lequel les banques, les entreprises publiques et les collectivités déposaient leur argent au Trésor public qui finançait l’économie en retour.
  • Troisième piste, avoir recours au financement monétaire direct pour les politiques économiques planifiées par l’État.

Ces alternatives nécessiteraient des discussions musclées au niveau européen, que ce soit à la Commission, au Parlement ou à la Banque centrale européenne (...)