
Les forêts ne se résument pas aux seuls arbres, loin s’en faut ! Dans ce troisième épisode de notre série d’été, partez à la découverte des habitants de la forêt. Du sol jusqu’à la cime des arbres, ces écosystèmes abritent en effet 80 % des espèces terrestres connues. Une richesse particulièrement visible dans la forêt tropical
Quiconque a déjà eu l’opportunité de pénétrer dans une forêt ancienne est frappé par l’abondance de sons qui s’en échappe. Les stridulations d’insectes, coassements de batraciens et autres chants d’oiseaux ne sont pourtant qu’une infime partie d’une biodiversité bien plus riche que ce qu’elle donne à entendre. Les études les plus récentes estiment que les forêts de la planète abritent à elles seules 80 % de la biodiversité terrestre, alors qu’elles ne représentent qu’un tiers des terres émergées. 70 000 essences d’arbres différentes1 y ont été recensées. Mais une forêt, c’est bien plus que des arbres...
« La forêt est un écosystème complexe qui se déploie en 3D, raconte Philippe Grandcolas, directeur-adjoint scientifique à CNRS écologie & environnement. On y trouve au moins trois niveaux (quatre dans les forêts tropicales !) : la canopée (les arbres, donc), qui peut monter jusqu’à 40 mètres de haut, voire plus !, le sous-bois (plantes, animaux divers) et, on l’oublie souvent, le sol et sa faune microscopique. » Toutes ces espèces fonctionnent ensemble et ont noué des liens complexes. Chaque arbre fournit ainsi un habitat à des centaines d’espèces d’arthropodes (insectes, araignées, myriapodes…), de lichens ou de plantes épiphytes (organismes qui poussent sur d’autres plantes sans les parasiter), sans parler des micro-organismes. (...)
La forêt guyanaise renferme 700 espèces d’oiseaux, 500 de poissons, 130 d’amphibiens, et 200 de mammifères, soit presque deux fois plus que dans toute la France métropolitaine.
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Riche, la biodiversité des forêts tropicales est néanmoins sous pression. C’est par exemple le cas des plantes de la mata atlântica, cette forêt humide qui s’étire le long des côtes brésiliennes. Selon une étude publiée récemment dans la revue Science, 82 % des arbres endémiques de cet écosystème seraient aujourd’hui menacés de disparition. En cause principalement : la déforestation. Grâce aux images satellitaires, les scientifiques ont pu mesurer que les forêts tropicales avaient perdu 2,2 millions de kilomètres carrés entre 1990 et 2020, soit l’équivalent de quatre fois le territoire français métropolitain.
Les risques de la fragmentation
À l’heure où la superficie des forêts tropicales régresse de 1 à 2 % chaque année sous les coups de boutoir de l’agro-industrie et du réchauffement climatique, il est plus que jamais nécessaire de poursuivre le recensement des espèces qui peuplent ces écosystèmes. Une démarche qui vise également à mieux comprendre les relations entre les différentes espèces. (...)
Mais la déforestation ne concerne pas que les forêts tropicales, loin de là. Dans la plupart des régions boisées du globe, l’exploitation irraisonnée des massifs forestiers et le développement des axes de circulation conduisent à réduire leur surface, mais aussi à les fragmenter en parcelles plus petites qui finissent par se retrouver isolées les unes des autres. Or, à mesure que ces îlots forestiers se réduisent, leurs caractéristiques microclimatiques, à savoir un taux d’humidité plus élevé et des températures inférieures à celles régnant en dehors de la forêt, s’estompent. Certaines espèces particulièrement inféodées à ces conditions de température et d’humidité, comme les amphibiens, se retrouvent alors prises au piège, ces animaux étant incapables de franchir les zones déforestées les séparant d’un milieu plus favorable. (...)
En réduisant l’écosystème forestier à une seule espèce d’arbre, on se prive de tout un cortège de prédateurs naturels (insectes, acariens, oiseaux…), limitant ainsi les chances de juguler une attaque massive de ravageurs.
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Plus de diversité, pour plus de résilience
Dernier aspect de la biodiversité forestière : le sol. Cette strate invisible, encore relativement peu étudiée, recèlerait pourtant cinq fois plus d’espèces que la canopée. Jusqu’à plusieurs milliers d’espèces de bactéries et de champignons peuvent ainsi coexister dans un seul gramme de sol d’une forêt tempérée… Ce n’est pas tout : les sols de nos forêts abritent tout un bestiaire de créatures minuscules parmi lesquelles des acariens, des pseudoscorpions et des collemboles, de minuscules arthropodes dont les quelque 8 000 espèces recensées forment une classe à part entière. L’ensemble de ces animaux de taille millimétrique constitue la mésofaune du sol. (...)
Non contents de consommer des débris de feuilles mortes et de servir de nourriture aux arthropodes prédateurs, les collemboles stimulent le développement des champignons mycorhiziens et régulent les populations des micro-organismes, ce qui en fait des « espèces clés de voûte des sols forestiers », selon Mathieu Santonja.
Ce dernier s’est également servi de ces mystérieux organismes pour mesurer le niveau de résilience à la sécheresse estivale des forêts de chênes pubescents, typiques des régions méditerranéennes. Conclusion : après un été particulièrement sec, les parcelles monospécifiques ont vu leurs populations de collemboles chuter de 75 %, contre seulement 40 % dans celles associant le chêne à quatre autres espèces d’arbres. Un résultat qui vient s’ajouter aux innombrables arguments scientifiques attestant des bienfaits écologiques associés à une plus grande diversification des forêts. ♦ (...)
Arbres et champignons, les liaisons dangereuses
On connaît les relations étroites qu’entretiennent arbres et champignons : les champignons symbiotiques de type mycorhizien fournissent les sels minéraux indispensables aux arbres, qui en retour leur font profiter des sucres produits grâce à la photosynthèse. On connaît moins le rôle joué par les champignons parasites qui, eux, affaiblissent la plante. Dans les régions tropicales, c’est l’effet des seconds qui domine. (...)
Dans les forêts tempérées, les champignons auxiliaires entourent les racines de l’arbre d’un manchon cotonneux à partir duquel les deux partenaires échangent les nutriments. Cela contrecarre l’action des champignons parasites et facilite la croissance des plantules de l’arbre tout autour de celui-ci. Voilà pourquoi les forêts tropicales peuvent compter jusqu’à 600 espèces d’arbres sur un seul hectare, contre une poignée d’espèces seulement en zone tempérée ! ♦