Le groupe de la ministre de la culture a obtenu le rejet d’une subvention de près de 500 000 euros à 40 librairies indépendantes. Était visée Violette and Co, sous le feu des critiques depuis l’été. La majorité dénonce une « offensive contre la culture et la liberté d’expression ».
Sur le papier, la délibération à l’agenda du Conseil de Paris semblait consensuelle. Presque une formalité. Il s’agissait de voter une enveloppe de 482 000 euros, au titre de « subventions d’investissements », pour quarante librairies indépendantes de la capitale. Avec cet argent, les libraires allaient réaliser des travaux, afin d’améliorer l’accessibilité de leur espace à tous les publics, ou de réduire leur empreinte environnementale.
Le groupe d’élu·es de la droite parisienne, celui de la ministre de la culture, Rachida Dati, en a décidé autrement. Profitant de l’absence de beaucoup d’élu·es de la majorité pendant la séance plénière, il est parvenu jeudi 20 novembre à rejeter ce texte soumis au vote à main levée. « Vous saupoudrez de l’argent public sur quarante librairies. Comme si une vitrine ravalée pouvait remplacer la qualité d’un libraire », s’est justifié Aurélien Véron, un élu Les Républicains (LR) proche de Rachida Dati.
Dans la suite de son intervention, le conseiller en est venu au véritable argument qui justifie son opposition : parmi les quarante librairies aidées figure Violette and Co. Cette librairie féministe et LGBTQI+ du XIe arrondissement avait déjà fait l’objet de dégradations et d’une campagne de harcèlement en ligne, en juillet, parce qu’elle exposait dans sa vitrine un livre de coloriage propalestinien intitulé From the River to the Sea, un slogan considéré par certain·es comme appelant à la destruction de l’État d’Israël. (...)
Un vote mal assumé
« Ce vote n’est pas un accident, mais un choix idéologique clair et assumé, ont réagi dans un communiqué commun Emmanuel Grégoire, David Belliard et Ian Brossat, tous trois candidats à la mairie de Paris (respectivement pour le Parti socialiste, Les Écologistes et le Parti communiste français). Un choix qui s’inscrit dans l’extrême-droitisation du paysage médiatique, menée tambour battant par Vincent Bolloré. »
« Ce vote très inquiétant dit quelque chose de la porosité entre les idées de la droite et de l’extrême droite, et de la trumpisation de la droite parisienne », renchérit auprès de Mediapart Raphaëlle Primet, coprésidente du groupe communiste à Paris. Également sollicitée, la ministre Rachida Dati n’avait pas, à l’heure où nous publions cet article, répondu à notre demande. (...)
Quelques secondes après le vote, jeudi matin, David Alphand, un autre conseiller LR, manifestement embarrassé par le résultat, a cherché à désamorcer la polémique qu’il pressentait, précisant au micro : « Le sens de notre refus concerne exclusivement la librairie Violette and Co. La droite parisienne aurait demandé un vote dissocié par article, comme elle a coutume de le faire. Malheureusement, l’exécutif municipal a présenté un package qui nous empêchait de le faire. » (...)
Plusieurs élu·es joint·es par Mediapart ont laissé entendre qu’un nouveau vote sera programmé en décembre, pour lequel la majorité de gauche devrait s’assurer d’être présente en plus grand nombre. (...)
Si ce vote bloquant les subventions a suscité tant de remous, c’est aussi que le secteur de la librairie traverse une période de difficultés économiques déjà bien identifiées – pression des loyers, coût de l’électricité, gestion de l’après-covid, concurrence de la vente en ligne – et qu’il fait face à de nouveaux périls depuis quelques mois.
Rien qu’à Paris, trois librairies ont été la cible d’attaques en ligne et d’actes de vandalisme récents. Outre Violette and Co en juillet, La Tête ailleurs, dans le XIe arrondissement, a été couverte en septembre de tags à la peinture acide, avec des inscriptions comme « Fuck Hamas ». En cause, le message sur Facebook de l’une des fondatrices du lieu, désormais retraitée, qui avait soutenu ce gérant d’un parc d’attraction français refusant l’entrée à des vacanciers israéliens.
Quant à Petite Égypte, dans le IIe arrondissement, sa vitrine a été couverte d’une inscription diffamatoire « La putain du Hamas », dans la nuit du 14 au 15 novembre, alors que l’équipe s’apprêtait à recevoir Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens, pour un débat le 15 au soir. La soirée fut tout de même un succès, précise le patron du lieu, avec plus de cent vingt personnes écoutant la juriste italienne à l’étage de la librairie.
« La prochaine étape, c’est quoi ?, s’interroge Laurence Patrice, adjointe à la mairie de Paris, chargée de la mémoire et du monde combattant. (...)