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La « caisse noire » de la transition énergétique : six milliards d’euros au cœur d’une guerre d’influence
#transitionenergetique #Bercy
Article mis en ligne le 30 janvier 2025
dernière modification le 28 janvier 2025

Le ministère de l’Économie a repris en main les « Certificats d’économie d’énergie », un puissant mais opaque instrument financier. Au risque de dévoyer l’ambition écologique du dispositif.

Six milliards d’euros par an, dédiés — en principe — à la transition énergétique. Une somme plus qu’importante, grâce à laquelle la France est censée se diriger vers la neutralité carbone. Mais l’avenir et l’usage de cette manne vont désormais faire l’objet de gros débats interministériels.

Les « Certificats d’économie d’énergie » (CEE) sont une simili taxe payée par TotalEnergies, EDF et les entreprises du secteur de l’énergie pour financer la rénovation thermique des bâtiments et une multitude de programmes en faveur de la sobriété (développement du vélo et du covoiturage, fret ferroviaire et fluvial, formation à la sobriété numérique, etc.). Son pilotage vient d’être récupéré par Bercy, par l’entremise de Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Énergie.

Le gouvernement de Gabriel Attal avait initié ce mouvement en 2024, avant qu’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, ne le récupère, temporairement, de septembre à décembre. Elle restera « associée » au pilotage d’après les décrets d’attributions des ministres parus au Journal officiel le 8 janvier. Le bras de fer tourne néanmoins à l’avantage des ministères économiques.

L’enjeu est énorme. Bercy est réputé peu friand de ce mécanisme parafiscal qui coûte aux entreprises et se répercute sur les factures d’électricité, de gaz et à la pompe à essence. Mais avec une dot de 6 milliards d’euros par an, les CEE sont « l’un des outils les plus importants de financement de la transition », dit Alexis Monteil-Gutel, directeur du Cler, une association engagée pour la transition énergétique.

« Leur premier réflexe est de dire “non” »

Les CEE doivent entrer au 1ᵉʳ janvier 2026 dans leur « sixième période » : celle de l’accélération de la politique de sobriété qui, selon la Stratégie nationale bas carbone, doit conduire la France à la neutralité carbone en 2050.

Pour atteindre cet objectif, le dispositif des CEE est censé monter en puissance. Or, face au lobbying des entreprises du secteur, par crainte des répercussions sur les factures des Français et pour répondre aux lourdes critiques entourant le dispositif, Bercy est tenté de freiner des quatre fers. (...)

Le risque, selon plusieurs bénéficiaires du dispositif, est que l’argent soit réorienté pour financer des politiques sacrifiées par la cure d’austérité prévue au budget 2025. Les CEE ne sont pas un impôt, mais une obligation faite aux entreprises du secteur de l’énergie de financer un certain quota d’économies d’énergie. L’argent ne transite pas par le Trésor public, ne répond d’aucune règle budgétaire et échappe à tout contrôle parlementaire. « C’est une sorte de caisse noire », résume un acteur du secteur.

Caisse noire qui intéresse les ministères des Transports, pour financer des primes à l’achat de véhicules électriques, ou celui de l’Énergie, qui cherche un moyen de financer le dispendieux programme de relance du nucléaire. « Cette manne suscite beaucoup de convoitises », observe Olivier Schneider, coprésident de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB). (...)

Tout le monde s’accorde néanmoins sur la nécessité de réformer en profondeur le fonctionnement du dispositif. Fraudes, manque de transparence et de contrôle, inefficacité… Les scandales se sont multipliés ces dernières années. Dernier exemple en novembre 2024 : cinq entreprises dont TotalEnergies et Dalkia, filiale d’EDF, se sont vues annuler pour 6 millions d’euros de CEE, pour avoir gonflé l’ampleur d’opérations de rénovation.

Les entreprises bénéficient d’une grande largesse pour remplir leurs obligations. (...)

Le travail préparatoire se déroule au sein de l’Association technique énergie environnement (ATEE), une association sans habilitation gouvernementale, « alors que ses adhérents sont à la fois experts et parties prenantes du dispositif, nourrissant des soupçons quant à l’impartialité des décisions prises », écrit la Cour des comptes dans un rapport paru en septembre 2024. (...)

L’exagération des économies d’énergie attendues est par ailleurs un art cultivé dans ce système d’une rare complexité. Que ce soit pour récolter des CEE bon marché ou pour capter une partie de la manne, tout le monde a intérêt à gonfler les économies associées à chaque opération.

En plus, le gouvernement attribue des bonus à certaines opérations pour leur donner un coup de pouce, ce qui donne des situations cocasses. (...)

480 millions d’euros de fraude (...)

Et la Cour des comptes estime qu’environ 20 % de l’argent s’évapore en frais de gestion et marges empochées par les intermédiaires. Tous comptes faits, l’efficacité des CEE est sujette à caution. (...)

Pour l’heure, le cabinet du ministère de l’Énergie, fraîchement nommé, n’a pas relancé les discussions ni fait de commentaire sur ce dossier, malgré l’attente des observateurs de tous bords. « On fait remonter au ministre en disant que c’est urgent, explique un agent du ministère de la Transition écologique, mais il faut bien reconnaître qu’avec tous ces remaniements, l’État est un peu paralysé. »