
En Iran, le faible niveau des réserves en eau inquiète. Associé à l’augmentation des températures, provoquant des coupures d’électricité, il annonce une crise énergétique sans précédent, dans un contexte de tensions géopolitiques maximales.
Le 28 août, la troïka européenne — Royaume-Uni, France et Allemagne — a déclenché le mécanisme de « snapback » rétablissant les sanctions de l’Organisation des Nations unies (ONU) contre l’Iran. Cette clause de sauvegarde, introduite en 2015 dans l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, permet à tout membre signataire constatant un manquement de saisir le Conseil de sécurité. Si le différend n’est pas réglé dans un délai de trente jours, l’ensemble des sanctions adoptées en 2006 et 2010 par l’institution contre l’Iran — embargo sur les armes, gels d’avoir financiers, restriction de circulation des dirigeants iraniens, mais aussi interdiction de projets de coopération militaire et certaines exportations — peut alors être rétabli. Alors que les relations diplomatiques entre l’Iran et les Occidentaux sont à l’arrêt, cette menace s’apparente à un ultime moyen de pression à leur main.
Dans un pays fragilisé, cette mesure accroît la pression économique sur une population déjà éprouvée par les bombardements israéliens et américains en juin, l’inflation et les politiques d’austérité menées depuis plusieurs années. À ce contexte s’ajoute une crise hydrique sans précédent.
Une agriculture gourmande en eau
À Téhéran, capitale de plus de 9 millions d’habitants, les précipitations diminuent régulièrement, aggravant les effets conjugués du réchauffement climatique, de décennies de mauvaise gestion et d’un réseau de distribution vétuste. L’épuisement rapide des nappes phréatiques alimente le mécontentement populaire, déjà nourri par les pressions sociétales, les difficultés économiques et les inégalités d’accès aux ressources. (...)
Les indicateurs de l’ONU classent l’Iran parmi les pays au stress hydrique très élevé. (...)
À l’échelle nationale, les données de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) confirment une prédominance de l’usage agricole (environ 90 % des prélèvements), ce qui constitue un facteur central de tension sur la ressource. (...)
En 2024-2025, dans le cadre de son programme d’achats garantis, l’État a acquis près de 12 millions de tonnes de blé auprès d’agriculteurs nationaux. Un record historique qui lui a permis d’affirmer une quasi-autosuffisance en céréales. Mais une grande partie de l’agriculture reste tournée vers des fruits et légumes très gourmands en eau — comme les pistaches, largement destinées à l’export — sans réelle adaptation à la rareté croissante de la ressource. Cette mauvaise gestion épuise encore plus les nappes phréatiques et rend le pays plus vulnérable aux pénuries. Cependant, le riz, aliment de base et plat quotidien des Iraniens, reste massivement importé, principalement d’Inde, qui assure plus des quatre cinquièmes des volumes annuels, loin devant les autres fournisseurs. Le maïs destiné à l’alimentation animale provient pour l’essentiel du Brésil, complété par d’autres origines.
Près de 60 à 70 % des eaux usées de Téhéran s’infiltrent dans le sol à cause d’un réseau d’assainissement insuffisant, ce qui fait remonter la nappe phréatique de 1 à 2 mètres par an, et jusqu’à 10 mètres en quatre ans dans certaines zones. Cela entraîne de graves problèmes de contamination et de stabilité du sol. (...)
À cette tension sur l’eau s’ajoute une fragilité énergétique, révélée brutalement lors de l’été 2025. En juin, Israël a bombardé plusieurs infrastructures iraniennes — raffineries, dépôts de carburant autour de Téhéran et une partie du champ gazier géant de South Pars, principal fournisseur des centrales thermiques. Ces frappes ont réduit l’approvisionnement en gaz, ce qui contribuerait aux coupures d’électricité dans plusieurs provinces. (...)
Dans le sillage de cette offensive, en juillet, une vague de chaleur exceptionnelle — plus de 50 °C relevés dans plusieurs villes du sud-ouest du pays — a sévi. Elle a provoqué un pic inédit de consommation électrique, déséquilibrant la production et la demande, selon le ministère de l’énergie. La sécheresse a réduit les apports hydroélectriques, tandis que le vieillissement du réseau, aggravé par le manque d’investissements dans un contexte d’austérité, a accru sa vulnérabilité. Pour limiter la demande, les autorités ont ordonné la fermeture exceptionnelle pendant une journée des bureaux gouvernementaux et des banques.
Quasi quotidiens à Téhéran et dans 28 autres villes, les délestages — pouvant atteindre plus de quatre heures par jour — perturbent fortement la vie des ménages, des commerçants, des services publics et des industries. Derrière ces coupures planifiées se cachent des histoires de chaleur étouffante, de privations et d’inégalités mal supportées. (...)
Un mécontentement profond
Face à ces crises, l’idée de déplacer la capitale a refait surface début 2025. Deux conseils d’étude ont été créés pour évaluer le transfert de certaines fonctions vers Mokran, sur le littoral sud-est, mais aucune décision n’a été prise. Les partisans de la mesure invoquent la pollution, la subsidence et les pénuries d’eau à Téhéran comme raisons principales. Les opposants dénoncent un projet précipité et irréaliste, estimant que les milliards nécessaires seraLes conservateurs, relayés le 30 juillet par Kayhan, le plus ancien journal iranien, défendent l’augmentation de l’offre par barrages, transferts interbassins et centrales, pour renforcer l’autosuffisance et éviter toute dépendance stratégique en période de sanctions. Une troisième approche, soutenue par certains experts, prône une gestion intégrée de la demande, avec tarification progressive, réutilisation des eaux usées et lutte contre les pertes, jugée plus efficace à court terme que les grands projets d’infrastructure.
La crise actuelle combine les effets cumulatifs de choix politiques passés, de contraintes climatiques et de pressions économiques exacerbées par les sanctions internationales et les tensions régionales, auxquels s’ajoute une menace réelle d’escalade militaire. Pour une large partie de la population, ce quotidien nourrit un sentiment d’injustice, et le constat amer d’un avenir sans perspectives. (...)
Eau contaminée et affaissement du sol (...)