
L’Amérique du Sud est en train de sortir du libéralisme ?
C’est un bien grand mot. Même si le socialisme du XXIème siècle est revendiqué comme objectif, il y a plutôt une convergence vers un modèle de type social-démocrate (celui de l’Europe des années d’après-guerre), sans remise en cause globale et immédiate du capitalisme et de l’économie de marché. Ce qui prime est la volonté d’éliminer la pauvreté et de réduire les inégalités, même si on est très loin d’y être arrivé complètement, de redistribuer les richesses, de récupérer les ressources naturelles, le tout s’accompagnant d’une prise de distance vis à vis du libre-échange. L’Amérique latine s’installe entre la gauche et le centre gauche.
Par ignorance ou pour tenter d’isoler les gouvernements les plus engagés dans la transformation sociale et le refus de l’ingérence de Washington (en premier lieu le Venezuela), les grands médias prétendent qu’il y aurait « deux gauches » qui s’opposent en Amérique latine : d’un côté une gauche radicale, celle de Chavez, Correa et Morales, et, de l’autre, une gauche « raisonnable », représentée par le Brésil de Lula puis de Dilma Roussef, l’Uruguay, le Pérou d’Ollanta Humala et l’Argentine de Cristina Fernandez, veuve de Nestor Kirchner, triomphalement réélue à la présidence le 23 octobre (si tant est que l’on puisse ainsi classer le péronisme).
En fait, on constate un continuum entre les gauches de ces pays, chacune ayant sa spécificité. Elles s’emboîtent les unes dans les autres. Leurs dirigeants se rencontrent ou se parlent en permanence et sont animés d’une volonté commune : celle de construire la Grande patrie latino-américaine pensée par Simon Bolivar, d’oeuvrer à la justice sociale et de se débarrasser de la tutelle du grand voisin du Nord.
Bien sûr il existe des conflits historiques, comme entre la Bolivie et le Chili, mais que nul ne songe plus à trancher par les armes. (...)
Il y a un seul gouvernement ouvertement de droite, celui du Chili, dirigé par l’homme d’affaires Sebastian Pinera, qui a annoncé qu’il voulait gérer le pays comme une entreprise : c’est un échec lamentable !
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Mais il ne faut pas se faire trop d’illusions. En Amérique latine, et en premier lieu au Brésil, la richesse est toujours scandaleusement mal répartie. Et pourtant Lula a quitté le pouvoir avec 80% d’opinions favorables. Que s’est-il passé ? Dans son bilan, il a évoqué les 30 millions de personnes sorties de la pauvreté et l’émergence des classes moyennes. Mais s’il a été plébiscité par les classes populaires et moyennes, il l’a aussi été par les couches les plus riches qui, sous ses deux mandats, sont devenues encore plus riches ! La forte croissance a fait grossir le gâteau, mais n’a pas modifié la répartition des tranches.
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Aujourd’hui, la priorité des priorités de Washington est de déstabiliser le Venezuela dans la perspective de l’élection présidentielle d’octobre 2012 à laquelle Chavez sera à nouveau candidat. Les services américains financent les opposants au gouvernement bolivarien, organisent contre lui des campagnes de presse, parfois grotesques, mais qui trouvent des relais complaisants dans les grands médias, plus particulièrement en Espagne et en France.
Dans les mois qui viennent, il faut s’attendre à une intensification de la désinformation contre Chavez.
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Un de leurs objectifs est de créer un « cordon sanitaire » autour du gouvernement vénézuélien pour l’isoler non seulement de la droite, mais aussi des forces de gauche en Europe. Sont aussi visés les mouvements de solidarité avec le Venezuela et l’Amérique latine.
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Le terrain est d’autant plus facile à occuper pour la propagande américaine que peu nombreux sont les dirigeants de gauche qui ont un minimum de culture « latine » et qui parlent espagnol ou portugais. (...)
Ceux qui ont une bonne connaissance de l’Amérique latine et qui en tirent vraiment les enseignements sont Alain Lipietz (mais il n’a plus de responsabilités nationales chez les Verts EE) et surtout Jean-Luc Mélenchon.
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L’Amérique latine est aujourd’hui la seule région du monde où, certes de manière parfois désordonnée, des gouvernements mettent en œuvre des mesures réellement progressistes, créent les conditions de la participation populaire, rompent avec les dogmes néolibéraux, mettent le projet politique au poste de commandement et instaurent, dans le cas de l’ALBA, des formes de relations internationales fondées sur la solidarité et non pas la concurrence. (...)
Ces expériences mériteraient logiquement d’être étudiées et soutenues par tous les mouvements de gauche en Europe. Ce n’est pas – ou pas encore - le cas. Sans doute parce qu’elles constituent un vivant reproche pour tous ceux qui ont renoncé à changer la société autrement qu’en paroles.