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Japon : Hiroshima et Nagasaki, l’apocalypse en quatre actes
#bombeatomique #hiroshima #nagasaki
Article mis en ligne le 6 août 2024

Acte 1 : la course à l’atome est lancée

A à 5 h 30 du matin, le 16 juillet 1945, une intense lumière embrasa le désert d’Alamogordo au Nouveau-Mexique. C’était "comme si quelqu’un avait allumé le soleil en pressant un bouton". Cette description de l’ingénieur Otto Frisch, l’un des artisans de la bombe, témoigne du mélange d’émerveillement et de frayeur qui dut saisir ce jour-là les 250 témoins du premier essai nucléaire. Le monde venait de basculer dans une nouvelle ère.

(...) Imaginer une bombe d’une puissance colossale (...)

Le déclenchement de la guerre en septembre 1939 marque un tournant. De nombreux scientifiques européens se réfugient en Angleterre et aux Etats-Unis. Leo Szilard est de ceux-là. Récemment immigré en Amérique, il est le premier à envisager les conséquences militaires des découvertes récentes sur l’atome. Craignant que l’Allemagne nazie cherche à développer une arme nucléaire, le physicien fait appel à Albert Einstein, dont l’autorité scientifique est bien établie, pour alerter les autorités américaines. Le 2 août 1939, convaincu par le savant hongrois, Einstein adresse un courrier au président Roosevelt. Il l’informe de la possibilité de fabriquer des bombes d’une puissance dévastatrice (...)

La crainte ? Voir Hitler maîtriser le premier l’énergie atomique (...)

Après Pearl Harbor, l’atome devient une priorité (...)

A l’été 1942, dans le plus grand secret, Roosevelt lance un vaste programme destiné à développer l’arme nucléaire : le projet Manhattan.

Le programme est placé sous la responsabilité de l’armée et la direction en est confiée au général Leslie Groves. La direction scientifique est attribuée à un physicien, Robert Oppenheimer. Les retombées de cette mobilisation se concrétisent en quelques mois.
Et l’homme maîtrisa l’énergie nucléaire...

Le 2 décembre 1942, l’Italien Enrico Fermi teste le premier réacteur atomique sous les gradins du stade de Chicago. L’expérience est un succès, Fermi et ses collaborateurs réussissent à provoquer la première réaction en chaîne… et à la stopper. L’homme maîtrise désormais l’énergie nucléaire. (...)

Au cours de l’année 1943, trois cités nucléaires secrètes sont construites dans des régions isolées du territoire américain. (...)

Au total, le programme nucléaire militaire emploie 150 000 personnes. Grâce à ses moyens colossaux, au printemps 1945, les Etats-Unis sont en mesure de fabriquer trois bombes atomiques. (...)

Kyoto préservée en raison de son patrimoine historique

Aussitôt informé du projet, Truman crée un comité chargé de trancher la question. Dirigé par Henry Lewis Stimson, secrétaire à la Guerre et l’un des principaux acteurs du projet Manhattan, le comité est secondé par une commission de quatre scientifiques. Entre-temps, le 8 mai 1945, l’Allemagne a capitulé. La victoire sur les nazis n’empêche pas le comité de rendre son avis, le 1er juin : il recommande l’utilisation de la bombe atomique sur le Japon "sans avertissement préalable, sur une cible à haute densité de population et à caractère militaire, de façon à obtenir le maximum d’effets psychologiques". Cinq cibles sont désignées : Kyoto, Hiroshima, Kokura, Niigata et Nagasaki. Stimson, cependant, retire Kyoto de la liste en raison de son patrimoine historique. (...)

Le groupe de Szilard réagit et tente d’alerter le président en rédigeant le rapport Franck (du nom de James Franck, le physicien qui présidait cette commission). Le texte met en garde les décideurs contre les effets à long terme de l’usage de la bombe A : "Il est certain que, immédiatement après la première révélation au monde entier que nous possédons des armes nucléaires, débutera un réarmement général. D’ici dix ans, d’autres pays pourront posséder à leur tour des armes nucléaires, et chacune, sans atteindre le poids d’une tonne, pourra détruire une ville de 10 kilomètres carrés." La conclusion du rapport préconise d’utiliser la bombe dans un endroit désert de manière à intimider les Japonais. Mais la Maison Blanche ne réagit pas à ces mises en garde. (...)

Premier essai nucléaire concluant

Au contraire, une pression supplémentaire est mise sur Los Alamos pour que les bombes soient prêtes avant l’été. Début juillet, c’est chose faite. (...)

Ultimatum adressé au Japon

A l’issue de la conférence de Potsdam, le 26 juillet, un ultimatum est adressé au Japon exigeant une capitulation sans conditions, sans quoi il "subira une destruction rapide et totale". Aucune allusion n’est faite à la véritable menace qui pèse sur ce pays. Le lendemain de l’ultimatum, à Tokyo, le Premier ministre Suzuki, pressé par les journalistes de donner son sentiment, emploie le terme mokusatsu, mot ambigu, qui peut être traduit par "ignorer" ou "sans commentaire", voire par "traiter avec mépris". C’est cette dernière interprétation, un refus catégorique et méprisant, que les agences de presse américaines vont relayer. Et c’est ainsi que le reçoit Washington. On ne saura jamais si les Japonais demandaient un délai de réflexion ou s’ils repoussaient purement et simplement l’injonction américaine. (...)

Quand, le 30 juillet, Truman donne l’ordre de larguer les bombes, celles-ci sont déjà en train d’être assemblées sur la base américaine de Tinian dans l’archipel des îles Mariannes. Le sort du Japon est scellé.

Acte 3 : la punition atomique

Ce matin-là, au-dessus d’Hiroshima, le ciel était clair. C’était une journée comme les autres, l’activité de la ville battait son plein. Les radars japonais avaient bien détecté quelques avions volant à haute altitude, mais leur nombre était trop faible pour que l’alerte soit donnée. Des bombardements comme ceux de Tokyo ou d’Osaka impliquaient des centaines d’appareils. Il n’y avait aucune raison de s’alarmer. (...)

Les avions repérés par les radars japonais étaient trois bombardiers Boeing B-29 comportant chacun à leur bord 12 membres d’équipage. Ils avaient décollé de la base américaine de Tinian, dans l’archipel des Mariannes, à 2 h 45 dans la nuit du 5 au 6 août. L’un d’entre eux, Enola Gay, piloté par le commandant Paul Tibbets, transportait à son bord Little Boy, la première bombe à uranium. Les deux autres, The Great Artist et Necessary Evil étaient chargés d’opérer des relevés et de filmer l’explosion. Kokura, Niigata et Nagasaki avaient également été survolées le matin même. Compte tenu de la couverture nuageuse, Hiroshima, 350 000 habitants, était la seule cible possible.

Une gigantesque boule de feu s’élève au-dessus d’Hiroshima (...)

Little Boy explosa à 600 mètres au-dessus de l’hôpital Shima, à 300 mètres du point visé. L’enfer venait de s’abattre sur Hiroshima. Au sol, les habitants n’entendirent pas le bruit de l’explosion. Ils furent aveuglés par un flash lumineux, puis ce fut l’obscurité. La température au point d’impact avait atteint plusieurs milliers de degrés. Des vents incandescents se propagèrent à une vitesse de 1 000 kilomètres à l’heure, balayant tout sur leur passage. En un éclair, il ne resta rien de la ville dans un rayon de 2 kilomètres, et 70 000 personnes furent instantanément rayés de la surface de la terre. Les survivants tentèrent de se réfugier vers les collines et les rivières. Leurs vêtements et leur peau étaient en lambeaux. Soixante-dix mille d’entre eux allaient mourir de leurs brûlures dans les heures et les jours qui suivirent. (...)

Au total, l’explosion fit 140 000 victimes, la moitié de la population de la ville. Depuis les avions, les équipages virent une gigantesque boule de feu de plusieurs centaines de mètres de diamètre s’élever vers le ciel, comme un soleil surgissant de la terre. En jetant un dernier regard au chaudron incandescent qu’était devenu Hiroshima, Robert Lewis, copilote d’Enola Gay, ne put s’empêcher d’avoir un sursaut d’effroi : "Mon Dieu, qu’avons-nous fait ?" Puis les militaires reprirent la route de Tinian où ils purent fêter la réussite de leur mission et recevoir leurs décorations.

La moitié de la ville de Nagasaki est rasée

Selon l’ordre de mission, les bombardements devaient se poursuivre tant que le Japon ne s’était pas rendu. L’objectif suivant était Kokura, ville du sud du Japon abritant un puissant arsenal. Le 9 août, à 10 h 20, le bombardier Bockscar, commandé par le major Charles Sweeny, survola la ville avec à son bord Fat Man, une bombe au plutonium de 4,5 tonnes semblable à celle utilisée lors de l’essai Trinity. Mais le ciel trop couvert rendait le largage impossible. Sweeny se replia alors sur Nagasaki, centre industriel le plus proche. Les nuages étaient denses, mais à 11 h 02, une percée permit au capitaine Kermit Beahan de larguer la bombe. Trois jours après Hiroshima, Fat Man rasa la moitié de la ville de Nagasaki, causant la mort de 80 000 personnes. Cette fois, le Japon accepta les conditions de la reddition. (...)

Dans Le Monde nucléaire (éd. Armand Colin), Pascal Boniface et Barthélémy Courmont soulignent le caractère encore plus inutile de cette deuxième explosion. Selon les auteurs, après Hiroshima, l’empereur et le Premier ministre Suzuki s’étaient mis d’accord pour cesser les hostilités sans chercher à obtenir des conditions plus favorables. Un conseil de guerre était convoqué pour entériner la décision. Il devait se dérouler le 9 août.

Acte 4 : face à l’horreur, la censure

Seize heures après le premier bombardement, Truman annonce la destruction d’Hiroshima comme celle d’"une base militaire" et occulte le fait que la ville était peuplée en grande majorité d’ouvriers, de femmes et d’enfants. Le lendemain, le terme "bombe atomique" fait son apparition à la une de toute la presse internationale. Le constat est souvent froid : "Les Américains lancent leur première bombe atomique sur le Japon" (Le Monde), parfois surréaliste : "Une découverte sensationnelle, la plus formidable machine de mort que le génie humain ait inventée" (France-Soir). Mais aucune image ne transparaît, aucun détail sur les dévastations occasionnées par l’explosion. (...)

La censure se met en place. Les régions concernées sont déclarées "zones militaires fermées" par les autorités américaines. Témoignages, journaux, photographies, films sont classés "secret défense". La plupart de ces images ne sortiront de l’ombre que vingt ans plus tard. Tenus à distance, les journalistes doivent se contenter des déclarations officielles.

"Maladie X" et "peste atomique"

Quelques-uns d’entre eux vont cependant franchir les barrages. George Weller, du Chicago Daily News, est le premier reporter présent à Nagasaki, un mois après l’explosion. Il y décrit ce qu’il nomme la maladie X : "Des hommes, des femmes et des enfants sans blessures apparentes meurent chaque jour à l’hôpital, certains étant persuadés, après trois à quatre semaines, d’avoir échappé [à la bombe]." Son papier est confisqué par la censure, il ne réapparaîtra qu’en 2006. (...)

Un journaliste australien, Wilfred Burchett, s’infiltre à Hiroshima. Il est rapidement expulsé et toutes ses photographies disparaissent. Mais son article est publié à Londres le 6 septembre dans le Daily Express. Les lecteurs découvrent l’existence d’un mal inconnu que Burchett nomme "la peste atomique" : plusieurs semaines après le bombardement, les gens continuent de mourir "d’une mort mystérieuse et horrible". L’Occident entend parler pour la première fois des retombées nucléaires.

Propagande ahurissante autour de la bombe atomique

Mais une propagande soigneusement orchestrée ôte tout crédit aux affirmations du reporter. Des journalistes à la solde du gouvernement américain font paraître des démentis (...)

William Laurence, journaliste officiel du projet Manhattan. (...) :

"Les Japonais continuent de répandre leur propagande pour faire croire que nous avons injustement gagné la guerre, essayant ainsi de s’attirer la sympathie de l’opinion publique." Son article lui vaut le prestigieux prix Pulitzer.

(...)

Les conclusions des experts envoyés sur place par le général Groves sont largement diffusées : aucune contamination radioactive sur Hiroshima et Nagasaki. (...)

la mort par radiation ne provoque aucune "douleur excessive" et serait même une "façon très agréable de mourir".

Fallait-il bombarder Hiroshima et Nagasaki ?

Peu à peu, des failles apparaissent dans la propagande. Le 31 août 1946, un article du New Yorker signé John Hersey fait le récit de l’anéantissement d’Hiroshima. Sur l’intégralité des pages du magazine, pour la première fois, la parole est donnée à six survivants du cataclysme. "Quelques blessés pleuraient. La plupart vomissaient. Certains avaient les sourcils brûlés, et la peau pendait de leur visage et de leurs mains. D’autres, à cause de la douleur, avaient les bras levés comme s’ils soutenaient une charge avec leurs mains. Si on prenait un blessé par la main, la peau se détachait à grands morceaux, comme un gant..." L’atrocité s’affiche à la face du monde. Les certitudes sont ébranlées. Fallait-il bombarder Hiroshima et Nagasaki ? (...) (...)

Les arguments de Truman et de la Défense américaine étaient qu’en "abrégeant l’agonie de la guerre", ces bombes avaient permis de "sauver la vie de milliers de jeunes Américains". Pour appuyer leurs dires, ils se basaient sur l’éventualité d’un débarquement américain au Japon, opération qui, selon eux, aurait coûté la vie à 500 000 Américains. Ces chiffres avaient été exagérés pour convaincre les militaires encore réticents à l’utilisation de l’arme nucléaire. Des hommes comme Eisenhower ou Mac Arthur estimaient en effet que le Japon était prêt à se rendre : ses forces étaient affaiblies, ses stocks de munitions au plus bas, sa marine détruite…
Le Japon aurait certainement capitulé avant le 31 décembre 1945

Après la capitulation, une commission d’enquête, le US Strategic Bombing Survey, créé par Roosevelt pour avoir un regard impartial sur les bombardements, confirme cette intuition (...)

Quelles étaient alors les réelles motivations de Truman ? Pascal Boniface et Barthélémy Courmont estiment que, "dans la mesure où le projet avait abouti avant la fin des hostilités, il lui était difficile, voire impossible, de reculer". Beaucoup de marines avaient trouvé la mort dans le Pacifique et l’opinion publique n’aurait pas compris que la bombe ne soit pas utilisée pour écourter la guerre. Par ailleurs, le projet Manhattan avait coûté 2 milliards de dollars. Il fallait une démonstration de force pour justifier un tel investissement, un simple essai ne suffisait pas. Le rôle des lobbies industriels ne doit pas être sous-estimé : des entreprises comme Monsanto ou DuPont, largement impliquées dans le projet, avaient elles aussi intérêt à une reconnaissance internationale.

Mais une des motivations la plus souvent avancée par les historiens est la confrontation avec l’URSS. Les Soviétiques gagnaient du terrain en Europe de l’Est. En déclarant la guerre au Japon le 7 août 1945, ils visaient aussi des conquêtes en Asie. Remporter la victoire sans la contribution de Moscou posait les Etats-Unis en superpuissance capable d’imposer ses conditions non seulement aux vaincus mais aussi aux vainqueurs. Selon ce point de vue, plutôt que les derniers feux de la Seconde Guerre mondiale, Hiroshima et Nagasaki auraient constitué les prémices de la Guerre froide (...)

Editions Dunod : Le monde nucléaire
Arme nucléaire et relations internationales depuis 1945
Pascal Boniface, Barthélémy Courmont