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"J’ai changé d’avis sur l’euthanasie" : un médecin en fin de vie raconte comment la maladie l’a transformé
#euthanasie
Article mis en ligne le 16 décembre 2023
dernière modification le 13 décembre 2023

Depuis son lit, branché à un respirateur artificiel, Philippe Bail décrit les "richesses" de la vie de malade et plaide pour la liberté de choisir sa mort, alors qu’un projet de loi sur le sujet se fait toujours attendre.

Il a fait une promesse à sa femme et à ses enfants : vivre jusqu’à Noël. S’accrocher encore quelques semaines, "et après, on verra". Philippe Bail, 72 ans, est atteint de la maladie de Charcot, une pathologie incurable qui affecte les muscles et qui mène vers une mort par asphyxie. Ses jambes ne répondent plus, ses bras à peine. Sa cage thoracique est presque figée. Ses yeux bleus, son sourire et ses paroles résistent encore. Sa vie ne tient plus qu’à un tuyau, celui de son appareil de ventilation, qui lui propulse de l’oxygène jusqu’aux poumons par un masque nasal.

Voilà bientôt cinq ans que le diagnostic est tombé. Avec une telle longévité face à Charcot, Philippe Bail fait déjà figure de patient émérite, un brin têtu. La mort n’est plus très loin, le Breton le sait. Il le souhaite, aussi. (...)

"Le désir de vivre s’épuise un peu chez moi", concède-t-il, blotti sous la couette de son lit médicalisé, dans une ancienne grange qu’il a retapée près de Lannion, dans les Côtes-d’Armor. Cet ancien médecin généraliste guette même "le bon moment" pour mettre fin à ses jours.

Alors que le projet de loi sur la fin de vie, un temps annoncé pour septembre, puis pour décembre, tarde à voir le jour, Philippe Bail plaide pour un droit à choisir le moment de sa mort. Il en témoigne dans un livre, Fidèle comme une ombre (éditions L’Harmattan), journal de bord de sa vie de malade. Dans ce récit des années "les plus tristes et les plus heureuses" de son existence, il invite aussi à changer de regard sur la maladie, la dépendance et la fin de vie, pour découvrir que "ce long travail du mourir peut être porteur de joie et de richesses".
"Si j’avais pu, j’aurais demandé l’euthanasie"

Du temps où il exerçait encore, le docteur Bail était un homme de principes. Du genre à vous réciter le serment d’Hippocrate, le code de déontologie médicale et le cinquième commandement. "Je ne provoquerai jamais la mort délibérément", lui soufflait une petite voix. "Tu ne tueras point", répétait une autre. Droit dans sa blouse, il contournait les rares appels de patients qui lui demandaient une euthanasie en douce. "Je m’engageais à rester leur médecin jusqu’à la fin et je parvenais à apaiser leurs souffrances par mes visites et par ma maîtrise des morphiniques et des antalgiques", assure-t-il.

Pionnier des soins palliatifs dans la région de Lannion, il professa à la faculté de médecine de Brest cet art qui consiste à soigner jusqu’au bout les patients que l’on ne peut plus guérir. Il fallut l’épreuve de la maladie, en 2019, pour le faire "changer d’avis" sur l’euthanasie et le suicide assisté. "En tant que médecin, je défendais le principe que chaque vie est digne d’être vécue. Je ne le renie pas, mais j’ai compris autre chose en tant que malade", explique-t-il. (...)

"En discutant, en écoutant Barbara ou Brassens, en regardant un film ou en buvant un bon vin – et tant pis si, sacrilège, c’est maintenant à la paille – je vis ! Je ne me considère pas du tout comme un légume." La lecture et l’écriture ont été d’autres alliées et l’ex-médecin surmené a fait siens les écrits du philosophe Blaise Pascal, pour qui "tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer au repos dans une chambre".
La sédation profonde comme issue de secours

Mariés depuis 47 ans, Philippe Bail et sa femme, Chantal, en conviennent : avoir recours à une euthanasie au début de la maladie les aurait "privés de beaucoup de choses". Mais le têtu Breton n’a jamais renoncé à décider du moment de sa mort. Quand il le souhaitera, il pourra demander l’arrêt de son respirateur artificiel et être plongé dans un ultime coma pour mourir, chez lui, "en quelques heures", sans souffrir de l’asphyxie qui l’attend. Il bénéficiera d’une sédation profonde et continue, maintenue jusqu’au décès, une pratique inscrite dans la loi pour les situations de pronostic vital engagé à court terme.

"Cette garantie de liberté ultime m’a soulagé de l’angoisse du mourir et m’a permis de me consacrer à ma faim de vivre." (...)

Sa femme et ses enfants le soutiennent dans sa démarche. "Nous sommes prêts à le laisser partir", assure Chantal Bail, elle-même médecin retraitée. "Ce sera une perte, une grande tristesse, mais cela aura été une richesse de vivre ensemble ces dernières années." (...)

"La maladie est une expérience qui peut valoir la peine d’être vécue, conclut-il. Même si je milite pour que notre fin nous appartienne, il ne faut pas se précipiter." (...)