
Ce documentariste, qui est né et vit au sud de l’enclave palestinienne, témoigne dans Mediapart de ses conditions de survie et demande que des enquêtes indépendantes soient menées sur les modalités et les conséquences de l’offensive israélienne.
Iyad Alasttal est cinéaste. Il est né, et vit toujours, dans le sud de la bande de Gaza. Il est l’auteur de plusieurs documentaires remarqués : sur une conductrice de bus gazaouie ; sur une infirmière tuée par l’armée israélienne pendant la « marche du retour » en 2018 alors qu’elle portait assistance à un blessé (Razan, une trace du papillon) ; ou sur une équipe de foot constituée de personnes handicapées, nombreuses à Gaza en raison des différents épisodes guerriers qui ont marqué le petit territoire (Gaza, balle au pied).
Conscient de l’importance des récits et des narrations dans toute lutte politique, il avait lancé en 2019 le projet « Gaza Stories » : des formats vidéo courts cherchant à montrer son lieu de vie « autrement » que comme un lieu où l’on ne rencontrerait que des victimes ou des terroristes.
Ces vidéos hebdomadaires cherchaient à donner à voir Gaza « côté vie », sans oblitérer les souffrances vécues par ses habitant·es (...)
Mediapart : Comment se sont déroulés le blackout et la nuit du 27 octobre pour vous qui êtes né et vivez à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza ?
Iyad Alasttal : C’est la nuit la plus dure que j’ai vécue, que je calcule depuis le début de ma vie ou depuis le déclenchement de cette guerre. Pour moi, comme pour tous les Gazaouis, c’était la panique totale. On ne savait rien de ce qui se passait et on s’attendait au pire. En cas de bombardement sur ma maison, je ne pouvais pas joindre les pompiers ou les services de secours.
J’ai pensé que c’était la fin, imaginé les pires des scénarios. (...)
Ce qui se passe ici, c’est un nettoyage ethnique, avec la volonté de nous tuer ou de nous faire partir. Cela relève d’un génocide. Toute la géographie de Gaza a déjà été entièrement modifiée, j’imagine que vous avez vu les images satellites qui le montrent. Il n’y a aucun endroit sûr où se protéger, ni aucun endroit où l’on pourrait fuir, que l’on se trouve au nord ou au sud de Gaza. (...) (...)
Contrairement à ce que raconte la propagande israélienne, nous ne sommes pas prévenus en amont des bombardements. C’est pour cela que le bilan est si lourd et que l’on compte plus de deux tiers de femmes et d’enfants parmi les plus de huit mille morts déjà recensés.
Dans ma maison, aujourd’hui, nous sommes plus d’une cinquantaine, en comptant ma mère, mes enfants, mes frères, mes nièces, mes neveux et deux familles réfugiées de la ville de Gaza que nous avons accueillies. Et nous savons que nous pouvons être anéantis d’un coup, d’un instant à l’autre.
Il y a les morts directes liées aux bombardements, mais il faut ajouter les personnes qui meurent faute de soin, parce que les dialyses ne sont plus possibles, parce qu’on manque de médicaments pour tout, parce que des centaines de personnels de santé ont déjà été tués et parce que les hôpitaux n’ont pas les moyens de faire face à une catastrophe humanitaire d’une telle ampleur.
Nous n’avons plus rien, plus d’eau, plus d’essence, plus d’électricité, nous allons bientôt manquer de pain. Je dois déjà faire plusieurs kilomètres chaque jour en partant tôt le matin et en rentrant le soir pour obtenir quelques litres d’eau et un ou deux kilos de pain avec lesquels je peine à nourrir ma famille.
Et pendant ce temps, je vois le monde applaudir parce que 107 camions au total ont fini par rentrer dans Gaza depuis le début de la guerre… (...)
Il faut un cessez-le-feu immédiat et on ne peut compter que sur la pression internationale pour imposer cela à Israël. Nous avons vécu quatre guerres d’agression, et désormais ce nettoyage ethnique, en une quinzaine d’années. Maintenant, ça suffit. On veut juste vivre en paix et en sécurité. Et on ne peut compter que sur une protection de l’ONU pour cela.
J’appelle les journalistes internationaux à faire pression sur le gouvernement israélien pour pouvoir venir à Gaza, afin de voir et dire ce qu’Israël nous fait.
Depuis que je suis né, ici, il y a trente-cinq ans, je n’ai jamais même entrevu l’ombre de la paix. C’est impossible de vivre dans ces conditions. J’ai trois filles que je n’arrive même pas à rassurer parce que moi-même je suis terrifié et traumatisé. Pouvez-vous imaginer ce que cela signifie d’être totalement impuissant face aux questions ou aux inquiétudes de ses enfants ?
Que l’on soit Fatah ou Hamas, laïc ou religieux, homme ou femme, jeune ou vieux, nous sommes avant tout victimes de l’écrasement et de l’occupation d’Israël. (...)
Pour moi, la responsabilité de la situation atroce que nous vivons est à mettre sur les épaules de l’occupation israélienne, qui est bien plus ancienne que le Hamas, puisqu’elle date de 1948. Le Hamas est en place depuis 2006, il était à l’époque soutenu par une partie des Gazaouis et rejeté par une autre partie. Avant le Hamas, c’était le Fatah qui régnait sur Gaza, et le Fatah a employé la résistance armée avant de négocier avec Israël. (...)
Mais aujourd’hui, tous les Palestiniens de Gaza sont unis non derrière un parti, mais contre l’armée israélienne qui nous décime. Nous ne voulons plus de l’occupation israélienne ni du siège de Gaza, quelles que soient nos convictions politiques ou personnelles. (...)
Je ne vous demande pas de prendre parti, mais seulement de venir établir les faits pour savoir qui ment et qui dit la vérité, afin de pouvoir condamner les menteurs. Il faut des enquêtes indépendantes, des spécialistes neutres qui puissent avoir accès au terrain. Or, aujourd’hui, c’est Israël qui empêche cet accès. (...)
Nous avons essayé les négociations, la résistance armée, la résistance pacifique. Nous avons tout essayé mais l’armée israélienne ne veut pas qu’un peuple palestinien puisse exister. Pourtant, la Palestine, c’est notre terre, c’est là où nous sommes nés, là où nous avons grandi, là où nous avons fait des bébés. Nous n’avons pas d’autre choix que de rester et de vivre ici. (...)