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Irlande : la rue, passage obligé pour les migrants qui arrivent à Dublin
#irlande #migrants #immigration
Article mis en ligne le 8 juillet 2024
dernière modification le 6 juillet 2024

Depuis plusieurs mois, l’Irlande voit affluer de plus en plus de migrants venus de l’Angleterre voisine. Le pays, confronté à une grave crise du logement, peine à accueillir ces nouveaux demandeurs d’asile. Le passage par la rue est devenu une étape incontournable pour ces exilés en attente d’une protection. InfoMigrants est allé à leur rencontre.

(...) Karim* se tient debout, le regard dans le vide, sur une des marches d’un immeuble du sud de Dublin, la capitale irlandaise. Derrière lui, un panneau affiche l’inscription : "To let", à louer en français. Le bâtiment, qui abritait des bureaux, est désormais vide, et les promoteurs cherchent une société pour reprendre possession des lieux.

En bas de ces locaux inoccupés, le contraste est saisissant. Le bout de trottoir paraît totalement saturé. Depuis trois semaines, des dizaines de tentes s’entassent les unes à côté des autres sur l’asphalte. Certaines ont même été plantées de l’autre côté de la route, au bord du canal. Pour se protéger des intempéries, une grande bâche bleue surplombe le campement de fortune qui abrite une cinquantaine d’exilés de diverses nationalités. (...)

En cet après-midi ensoleillé de juillet, l’ambiance est paisible dans le quartier, loin du tumulte du centre-ville. "Beaucoup de personnes dorment ou restent dans leur abri, d’autres sont dans la ville pour recharger leur téléphone, trouver à manger ou prendre une douche", explique Karim, un Afghan de 34 ans, père de 10 enfants dans son pays. Lui vit sur le bitume dublinois depuis une semaine. Arrivé en Irlande le 27 juin, il n’a pas eu droit à une place dans un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile.

Pour tous les nouveaux arrivants - les hommes seuls surtout - le passage à la rue est une étape incontournable en Irlande, les centres d’accueil étant totalement saturés. Début mai, un campement d’environ 200 personnes installé pendant des mois devant l’Office de protection internationale (IPO) a été démantelé par les autorités. Quelques semaines plus tard, un autre érigé le long du Grand canal a subi le même sort. Depuis, des barrières le long du cours d’eau ont été posées pour empêcher toute réinstallation. (...)

Ce nouveau camp, installé au pied d’un bâtiment abandonné, est désormais le plus important de Dublin. Mais dans le sud de la ville, il n’est pas rare de croiser une tente isolée dans le jardin d’une église, près d’un canal ou sous un pont.

"Même en mettant plusieurs couvertures, on tremble de froid" (...)

Karim sort de sa tente une chemise cartonnée. "Voilà ce qu’ils m’ont donné à l’Office de protection internationale lorsque je suis allé déposer mon dossier d’asile", raconte-t-il, en tendant sa pochette. Il nous montre les documents délivrés par l’équivalent de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) en Irlande : une attestation de demandeur d’asile, une liste d’associations qui aident les personnes sans-abri en fournissant de la nourriture ou des tentes, ou encore une lettre stipulant qu’il bénéficie d’une aide financière de 154 euros par semaine, pour se nourrir notamment - les personnes hébergées reçoivent, elles, 38 euros par semaine. Pour le reste, il doit se débrouiller. (...)

"Pour aller faire nos besoins, nous devons marcher environ six kilomètres. On va dans une mosquée du centre-ville qui nous accepte", renchérit Sami*, un autre Afghan. "C’est tellement insupportable la vie ici, je suis à bout. Je me sens tout le temps triste".

Près de 10 000 demandes d’hébergement depuis janvier (...)

Le premier pays de nationalité des exilés à demander l’asile en Irlande est le Nigéria, suivi de la Géorgie et de l’Algérie. (...)

Cet afflux inédit est lié à la politique migratoire du Royaume-Uni. Les conservateurs anglais - sortis perdants des dernières élections législatives face aux travaillistes - prévoyaient d’appliquer leur fameux "Plan Rwanda", une série d’expulsions vers Kigali des exilés entrés de manière irrégulière sur le sol britannique. La crainte de ces envois forcés vers le continent africain a fait fuir une partie des demandeurs d’asile vers l’Irlande, réputée plus accueillante. (...)

Pour tenter de répondre à la demande croissante, les autorités irlandaises ont bien monté à la hâte des centres faits de grandes tentes militaires et de lits superposés mais ils ne suffisent pas à prendre en charge l’ensemble des exilés.

"Les autorités ne veulent pas que l’Irlande apparaisse comme un pays accueillant" (...)

Dans une lettre adressée en mai 2023 au gouvernement irlandais, la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe faisait déjà part de ses préoccupations. Dunja Mijatović avait alors appelé "les autorités [irlandaises] à examiner en profondeur les lacunes structurelles du système de protection internationale et à y remédier, ainsi qu’à élaborer une approche durable de l’hébergement des réfugiés et des demandeurs d’asile dans le cadre plus large de la politique du logement".

Force est de constater qu’un an après, le problème semble loin d’être résolu. L’importante crise du logement qui touche l’Irlande depuis plusieurs années n’y est pas étrangère. Même les Irlandais ne parviennent plus à se loger. (...)