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Mediapart
Infanticides : un manque patent de statistiques fiables
#infanticides #enfances
Article mis en ligne le 5 février 2025
dernière modification le 3 février 2025

Les enfants tués par leurs parents ne font l’objet d’aucun recensement précis en France. Parce que ces décès sont parfois dissimulés, mais aussi parce que les outils de collecte d’information manquent. Cette incurie statistique dit beaucoup de l’absence de volonté politique dans ce domaine.

Tous les cinq jours, en France, un enfant est tué par l’un de ses parents. Cette statistique – utile – commence enfin à s’installer dans le débat public. Elle est pourtant imparfaite, et sans doute minorée. En réalité, les mineur·es victimes de morts violentes au sein de leur famille ne font l’objet d’« aucun recensement précis et centralisé ».

C’est l’alerte lancée, il y a un an déjà, par la commission chargée de conseiller le gouvernement sur les droits humains, dont ceux des enfants. Dans son avis, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) parle ainsi d’« un chiffre noir ». (...)

comment bâtir une politique de prévention sur la base d’une analyse criminologique à trous ? (...)

En 2022, dans son plan de « lutte contre les violences faites aux enfants », le gouvernement affichait cet objectif : « Bénéficier de données en vue d’une meilleure prévention des infanticides ». Un aveu. Depuis, rien n’a bougé – ou si peu.

Faute de volonté politique, des difficultés de deux ordres demeurent : d’une part, les affaires portées à la connaissance de la justice sont très mal répertoriées, à cause d’outils statistiques inadaptés. D’autre part, des cas échappent carrément aux autorités, peu organisées pour rechercher les infanticides « masqués ».

Les données de la justice, d’abord, sont difficiles à exploiter. (...)

Dans le principal logiciel des magistrat·es, l’âge des victimes est souvent mal renseigné, sans parler du lien avec l’auteur des faits. Il faut dire que le critère de la minorité (moins de 18 ans) importe peu pour les poursuites : seul compte le seuil des 15 ans, en deçà duquel est retenue une circonstance aggravante.

Quant aux statistiques publiées par le ministère de l’intérieur (tirées des fichiers de police et de gendarmerie), elles ne portent que sur les homicides intentionnels et les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner : chaque année, 57 mineur·es en moyenne sont ainsi enregistré·es comme victimes au sein de leur famille. À l’évidence, c’est incomplet.

Le chiffre habituellement retenu d’une mort tous les cinq jours correspond d’ailleurs à 72 enfants, soit déjà 25 % de plus. (...)

« des femmes parviennent à dissimuler leur grossesse puis à la naissance, sans éveiller les soupçons, à faire disparaître leurs enfants qui n’ont aucune existence légale ». En clair, des néonaticides (nourrissons tués dans leur première journée) ne sont jamais identifiés. (...)

Surtout, des morts violentes sont ignorées « faute d’autopsie » sur les corps d’enfants présupposés morts naturellement ou accidentellement, avec notamment des « victimes du syndrome du bébé secoué non diagnostiqué ».

Qu’est-ce qui a changé depuis cette alarme de 2019 ? « Nos chiffres de référence n’ont pas évolué, c’est inquiétant ; ça veut dire que rien n’a été fait », souligne Ophélie Marrel, conseillère juridique à la CNCDH.

« C’est toujours le même problème : comment certains décès sont déclarés, confirme Barbara Tisseron, pédiatre et médecin légiste. La maltraitance des enfants, c’est difficile à penser, donc à repérer. Cela fait barrage à l’esprit de tout le monde, même de médecins. Les parents racontent une histoire et on ne va pas creuser plus loin. Quand ça vient vous faire violence en tant que professionnel, c’est compliqué. »

Cette cheffe de l’unité d’accueil pédiatrique enfance en danger (UAPED), au centre hospitalier universitaire d’Orléans, est confrontée à cette difficulté toutes les semaines (...)

Afin d’éviter que des décès liés à des maltraitances soient notamment catalogués comme des morts subites du nourrisson, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande depuis 2007 une batterie d’examens (osseux, biologiques, IRM cérébrale...) pour tous les enfants morts avant 2 ans, à réaliser dans des centres spécialisés.

« L’autopsie est à proposer systématiquement aux parents », indique aussi la HAS. S’ils refusent ? « Apprécier au cas par cas et si besoin signaler à la justice. » En cas de suspicion de maltraitance, le médecin peut faire obstacle à l’inhumation – encore faut-il dépasser sa peur de se tromper et d’accabler davantage des innocents.

10 % de décès chez les bébés secoués (...)

« Le secouement est un geste d’une extrême violence, insiste la neurologue. Dans 55 % des cas où les auteurs ont reconnu les violences, ces gestes étaient réitérés. En moyenne, leurs victimes ont été secouées dix fois avant le diagnostic. »

Alors que les estimations tournent autour de 400 à 500 victimes de SBS par an, dont 10 % décéderaient, Anne Laurent-Vannier regrette l’absence de « recueil national ». Dans le système informatique des hôpitaux, en effet, impossible de cocher une case dédiée. Comment cette incapacité à dénombrer pourrait-elle ne pas interpeller ?

Dans son avis, la CNCDH insiste sur un point : pour mieux compter, il faudrait commencer par mieux définir et mieux distinguer les types de violences infligées. (...)

L’institution, d’ailleurs, évite d’utiliser le terme général d’« infanticide » et ne semble pas convaincue par l’idée de l’introduire dans le Code pénal pour désigner tout assassinat ou meurtre d’enfant. La création d’une telle infraction aurait certes une portée symbolique et politique. Mais celle-ci se heurterait « à l’absence de consensus sur la définition même de l’enfant » : jusqu’à 12 ans ? 15 ans ? 18 ans ?

« Repenser certaines qualifications pénales » (...)

« En fait, tant qu’on n’arrivera pas à définir les violences faites aux enfants et à trouver un langage commun, on n’aura pas de chiffres », résume la conseillère juridique. Encore moins de politiques de prévention adaptées. Mais pour mettre les bons mots en face des morts, il faudrait déjà que la société commence par les regarder. (...)

Lire aussi :

 (UNICEF)
Maltraitances et violences infantiles

SOMMAIRE

  • Qu’est-ce que la maltraitance infantile ?
  • La violence infantile en quelques chiffres
  • Quels sont les différents types de maltraitance ?
  • Quelles sont les séquelles des violences sur mineurs ?
  • Comment déceler les signaux d’alerte chez l’enfant maltraité ?
  • Que fait l’UNICEF pour lutter contre les maltraitances infantiles ?

(...) Quelles sont les séquelles des violences sur mineurs ?

À court et à long terme, les victimes voient leur santé physique, psychologique et sexuelle profondément affectée.

Les études menées démontrent que les traumatismes subis peuvent avoir des conséquences irréversibles sur le développement de leur cerveau et de leur système nerveux. Les enfants maltraités sont alors plus exposés aux troubles comportementaux et psychiques tels que l’anxiété, la dépression, le tabagisme, l’alcoolisme ou la toxicomanie. Ils sont plus susceptibles de rencontrer des difficultés d’apprentissage tout au long de leur parcours scolaire.

À l’adolescence, ils sont plus susceptibles de connaître des situations sociales précaires (grossesses précoces, maladies sexuellement transmissibles, risques de chômage, problèmes de logement, etc)

Et dans certains cas, les violences physiques mènent au handicap qui peut à son tour exposer la victime à tout un lot de discriminations. (...)