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AfriqueXXI
Il y a 50 ans, la dislocation des Comores « île par île »
#Mayotte #Commores #France #ONU
Article mis en ligne le 23 décembre 2024
dernière modification le 21 décembre 2024

Histoire · Le 22 décembre 1974, les Comorien·nes sont appelé·es à se prononcer sur leur avenir au sein ou hors de la République française. La quasi-totalité opte pour l’indépendance, mais à Mayotte c’est le « non » qui l’emporte. Contrairement aux promesses de l’exécutif, la France décide de prendre en compte les résultats île par île, et acte ainsi la dislocation de l’archipel.

Comme Djibouti, les Comores n’avaient pas profité de la vague des indépendances qui avait touché les colonies africaines de la France en 1960. Ces quatre îles (Mayotte, Grande-Comore, Anjouan et Mohéli, colonisées durant le XIXe siècle, étaient restées un territoire d’outremer. Mais la question de la décolonisation se posait depuis plusieurs années, et le scénario d’une indépendance était devenu inéluctable à la fin des années 1960. Sauf à Mayotte, où un mouvement profrançais avait émergé quelques années plus tôt.

Ce 22 décembre 1974, la question est de savoir si « les populations des Comores souhaitent choisir l’indépendance ou demeurer au sein de la République française ». Les résultats sont sans surprise : plus de 99 % des Grand-Comoriens, des Anjouanais et des Mohéliens votent pour l’indépendance

À Mayotte, où la campagne a été marquée par de nombreux heurts entre les partisans de « Mayotte française » (les « soroda ») et les indépendantistes (les « serrer-la-main »), et où l’on a enregistré le plus faible taux de participation (77,9 %, contre 94 à 96 % dans les autres îles), une majorité (63,22 %, soit 8 783 voix) vote contre l’indépendance. Lors de ce scrutin, des actes de violence sont recensés de part et d’autre. Les « soroda » accusent les « serrer-la-main » d’avoir bourré les urnes, et inversement.

Quoi qu’il en soit, selon le décompte total, 94,56 % des Comoriens sont favorables à l’indépendance. Or ce n’est pas ce résultat global que la France va prendre en compte, mais les votes île par île, malgré la promesse de Valéry Giscard d’Estaing. Deux mois plus tôt, le 24 octobre, le président français avait déclaré à propos des Comoriens :

C’est une population qui est homogène, dans laquelle n’existe pratiquement pas de peuplement d’origine française, ou un peuplement très limité. Était-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel devienne indépendante et qu’une île, quelle que soit la sympathie qu’on puisse éprouver pour ses habitants, conserve un statut différent ? Je crois qu’il faut accepter les réalités contemporaines. Les Comores sont une unité, ont toujours été une unité. [...] Nous n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel des Comores.

(...)

Mais, entre-temps, les parlementaires français ont changé le cours de l’Histoire. Pendant des mois, les députés et les sénateurs ont été intoxiqués par les séparatistes mahorais. Les Mahorais, affirment ces derniers, n’ont rien à voir avec les Comoriens, ils ne parlent pas la même langue, n’ont pas la même religion, ne partagent pas la même histoire - un révisionnisme qui perdure. Avec leurs alliés de L’Action française, un mouvement royaliste d’inspiration maurrassienne, nostalgique d’un Empire qui s’est délité depuis la Seconde Guerre mondiale, ils affirment même que si la France « abandonne » les Mahorais, ils seront victimes d’un « génocide ».

L’intoxication de l’extrême droite

Le mouvement d’extrême droite multiplie les initiatives : conférences de presse, articles dans son journal, Aspects de la France, pétitions, lettres ouvertes… Et ce travail de sape finit par payer. Si l’opinion publique est relativement indifférente à leur combat, les parlementaires, eux, ne le sont pas. Lorsque la question de la consultation des Comoriens est abordée à l’Assemblée nationale le 17 octobre 1974, le rapporteur de la loi, Charles Magaud, reprend à son compte leur propagande (...)

Les socialistes et les radicaux s’opposent au vote île par île. « On ne crée pas impunément des singularités territoriales », lâche Alain Vivien. Dans le camp adverse, cinq députés qui siègent au centre de l’hémicycle déposent un amendement pour modifier le projet de loi. Ils proposent de mettre au pluriel « la » population comorienne, et ainsi de faire accepter l’idée d’un vote île par île. (...)

Parmi ces députés figure Jacques Soustelle, un fervent partisan de l’Algérie française qui a soutenu l’Organisation de l’armée secrète (OAS).

Leur amendement est rejeté. Mais le fait que des centristes soutiennent la séparation des Comores démontre, outre le pouvoir d’influence d’Alain Poher, le président du Sénat (un centriste lui aussi, favorable à la partition des Comores), que la propagande des royalistes a largement dépassé les frontières de l’extrême droite. (...)

Des figures du gaullisme ont également appuyé les revendications séparatistes, parmi lesquelles Pierre Messmer et Michel Debré. (...)

Un enjeu stratégique

L’échec à l’Assemblée est une défaite pour les nostalgiques de l’Empire, mais il n’est pas rédhibitoire. Il reste encore l’étape du Sénat. Lorsque le texte y est discuté le 7 novembre, le rapport des forces a basculé. Le rapporteur de la commission des lois, le centriste Baudouin de Hauteclocque, fait sienne la propagande séparatiste (...)

L’enjeu stratégique est dans toutes les têtes. L’armée française, qui a été chassée de Madagascar en 1973 (elle y disposait d’une base importante à Diégo-Suarez), milite elle aussi pour garder une position dans le canal du Mozambique. Pour les militaires, il est vital que la France conserve des positions dans cette zone stratégique.

Selon l’archiviste Charly Jollivet, dès janvier 1967, le commandant en chef dans l’océan Indien « suggère de détacher Mayotte du reste des Comores (qui pourraient se voir accorder leur autonomie voire leur indépendance) pour l’ériger en district de La Réunion ». Pour l’officier, cette option présenterait plusieurs avantages, dont le principal, précise Jollivet, serait le « maintien de la souveraineté française dans la seule terre de l’archipel qui présente des possibilités exceptionnelles d’utilisation militaire. Cette mesure devrait permettre à la France de continuer à contrôler le canal du Mozambique dont l’importance ne fait que croître avec la mise en service des pétroliers géants et qui serait nécessairement utilisé en temps de guerre par suite de la fermeture ou de l’obstruction du canal de Suez »

. À l’époque, 50 % de la consommation européenne de pétrole brut transite par le canal du Mozambique – soit un flux quotidien de 75 000 tonnes de pétrole...
Le putsch des « sorodas »

Au Sénat, Baudouin de Hauteclocque propose donc de prendre en compte le vote « des » populations, et non plus de « la » population. Marcel Champeix, président du groupe socialiste, soutient sa proposition. Cette fois-ci, l’amendement est adopté (158 voix pour, 94 contre) après qu’Olivier Stirn a fini par capituler, trouvant cette modification « acceptable ». Les résultats de la consultation seront donc examinés île par île, et non dans leur globalité.

Après la consultation du 22 décembre, un débat s’ouvre à Paris, tant au sein du Parlement que de l’exécutif, sur la nécessité de prendre en compte ces résultats île par île. La loi du 3 juillet 1975 finit par trancher : elle prévoit que « le territoire des Comores deviendra un État indépendant lorsqu’il aura été satisfait aux conditions prévues à la présente loi », conditions parmi lesquelles figure la tenue d’un référendum en 1976, après la rédaction d’une Constitution
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. « Au cas où une ou plusieurs îles repousseraient ce projet, le Comité constitutionnel devra proposer une nouvelle rédaction dans un délai de trois mois », précise l’article 2. En cas de refus sur l’une au moins des îles, il est prévu que « la Constitution s’appliquera à celles qui l’auront adoptée »…

À Moroni, cette loi, qui va dans le sens des séparatistes, est jugée inacceptable. Selon Ahmed Abdallah, le principal dirigeant politique du territoire, elle remet en cause les accords signés en juin 1973, qui prévoyaient l’indépendance globale de l’archipel dans un délai de cinq ans. Le 6 juillet 1975, Abdallah, poussé par les mouvements anticoloniaux et pressé par l’opposition qui menace de le déborder, proclame unilatéralement l’indépendance des Comores. Si les 24 élus des trois autres îles le soutiennent, les 5 Mahorais de l’Assemblée s’y opposent.

Dans leur île, les députés mahorais se placent sous l’autorité de Paris et organisent un putsch : le 21 juillet, le préfet nommé par le gouvernement comorien est démis de ses fonctions ; Younoussa Bamana, une figure du mouvement des « sorodas », est proclamé préfet sans que les autorités françaises s’y opposent (l’État nommera un préfet onze mois plus tard, en juin 1976). La séparation est actée. Elle sera condamnée à vingt reprises par l’Organisation des Nations unies.