
A l’heure où à Marseille et à Paris on retire enfin de l’espace public les plaques honorant la mémoire du Maréchal Bugeaud, bourreau du peuple algérien durant la conquête coloniale, peut-on ériger une statue au parachutiste Marcel Bigeard, comme on le projette à Toul, et comme cela a été réalisé à Carcassonne en 2012 ?
En d’autres termes, la République française tolère-t-elle qu’on honore à travers lui la torture coloniale, alors même que vient d’être lancé à nouveau un Appel à enfin la reconnaître et à la condamner ?
Sous l’ère Sarkozy, un projet de transfert des cendres de Bigeard (1916-2010) aux Invalides avait soulevé de telles protestations, dont celle de Mme de Bollardière, veuve du général qui protesta contre la torture, que le gouvernement dut y renoncer. Rappelons quelles méthodes de terreur l’officier parachutiste Marcel Bigeard commanda en effet durant les guerres coloniales françaises pour empêcher l’indépendance de l’Indochine puis de l’Algérie. (...)
De fait, le nom de Bigeard est aujourd’hui encore à Alger synonyme de terreur. Nombre de proches et descendants de disparus de la « bataille d’Alger » témoignent de ce que leur parent a été enlevé, le plus souvent la nuit, détenu au secret, souvent torturé par ceux qu’ils nomment « des Bigeards », les « bérets rouges » du 3eme RPC dirigé par Marcel Bigeard.
Le secrétaire général à la police de la Préfecture d’Alger Paul Teitgen, qui dénonça les méthodes de l’armée comme identiques à celles qu’il avait subies lui-même entre les mains de la Gestapo, fit quant à lui connaître l’expression « crevettes-Bigeard » en usage à Alger en 1957. Elle désignait ces « suspects » qui étaient jetés dans la mer, lestés, depuis des hélicoptères et qui étaient parfois découverts sur les plages.
Marcel Bigeard est aussi l’auteur d’un Manuel de contre-guérilla, paru en 1957à Alger, qui justifie et prône l’emploi de la torture.
Le capitaine L. nous a donné cinq points que j’ai là, de façon précise, avec les objections et les réponses : 1) il faut que la torture soit propre ; 2) qu’elle ne se fasse pas en présence de jeunes ; 3) qu’elle ne se fasse pas en présence de sadiques ; 4) qu’elle soit faite par un officier ou par quelqu’un de responsable ; 5) surtout qu’elle soit "humaine", c’est-à-dire qu’elle cesse dès que le type a parlé et qu’elle ne laisse pas de trace. Moyennant quoi - conclusion - vous aviez droit à l’eau et à l’électricité. »
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