
Benjamin Fiorini, maître de conférences en droit pénal, et Julien Martin, avocat, reviennent sur la manière dont la justice regardent les images de Gaza, alors que la presse y est ciblée ou empêchée de s’y rendre.
À Gaza, où l’accès des journalistes est strictement interdit – ou où ces derniers sont la cible de l’armée israélienne –, ce sont les habitant·es qui documentent les événements. Photos et vidéos deviennent alors les principales sources d’information. Ces images alimentent également les enquêtes judiciaires mais jusqu’où ces images peuvent-elles constituer des preuves et jouer un rôle dans la recherche de la justice ?
Pour répondre à ces interrogations, nous avons sollicité Benjamin Fiorini, maître de conférences en droit pénal à l’Université Paris 8 où il dirige l’Institut d’études judiciaires, et Secrétaire général de l’association Jurdi*, ainsi que celle de Maître Julien Martin, avocat au barreau de Strasbourg en droit international et européen des droits de l’homme et expert auprès du Conseil de l’Europe. (...)
Julien Martin : Depuis le début des opérations militaires menées par l’armée israélienne, les journalistes internationaux n’ont pas accès à la bande de Gaza et ne peuvent donc pas documenter la situation sur le terrain. Les journalistes palestiniens, dont ceux de la chaîne Al Jazeera ont été et sont systématiquement ciblés par Tsahal. 220 journalistes ont été tués par l’armée israélienne dans la bande de Gaza en près de 23 mois, selon Reporters sans frontières.
Seuls témoins directs, les Gazaouis filment et/ou captent, souvent malgré eux, la situation qui sévit dans la bande de Gaza, notamment pour témoigner de l’intensité des bombardements, des exactions commises par l’armée israélienne et de leurs conditions de vie inhumaines. Face au génocide, filmer ou photographier devient une manière de résister à l’effacement, mais aussi d’appeler le monde à ne pas les oublier. J’imagine que ces images sont autant d’appels adressés à la communauté internationale pour que leur souffrance soit vue et reconnue. (...)
L’objectif principal d’un procès pénal est l’établissement de la vérité. C’est pourquoi en cette matière, un principe prévaut : celui de la liberté de la preuve. Ce principe veut que tous les moyens de preuve (y compris les photos et vidéos enregistrées par la population civile) soient admissibles devant les juridictions pénales, que ce soit au niveau national (notamment en France, où pourraient par exemple être poursuivis les soldats franco-israéliens auteurs de crimes) ou au niveau international. (...)
Une fois passée la phase de collecte, le travail des enquêteurs est de vérifier l’authenticité des images, de les dater, d’identifier les lieux où elles ont été filmées, et de déterminer en quoi elles permettent de prouver la commission de crimes et/ou d’identifier leurs auteurs. Cette technique d’enquête permet de reconstituer les événements de façon dynamique, et ainsi de documenter des crimes se déroulant dans des zones où les acteurs de la justice ne peuvent pas se déplacer. À noter que les images filmées et diffusées par les soldats israéliens de leurs propres exactions pourront, de la même façon, être utilisées contre eux dans le cadre de procédures pénales. (...)
Si la justice internationale n’a pas encore jugé les auteurs des crimes commis sur la population gazaouie, il est certain que la diffusion des images de ces crimes, notamment à travers les réseaux sociaux, a eu deux rôles majeurs. Un rôle juridique d’abord, puisqu’elle a contribué à l’émission de mandats d’arrêt par la Cour pénale internationale à l’encontre du premier ministre Benyamin Netanyahou et de son ancien ministre des Armées Yoav Gallant, pour des faits de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité – étant précisé que la qualification de génocide pourrait être retenue ultérieurement.
Un rôle politique ensuite, puisqu’en révélant l’horreur des massacres commis par l’armée israélienne et son ampleur, la diffusion de ces images a apporté un puissant contre-récit à la propagande israélienne, tout en accentuant la mobilisation en faveur de la défense des droits du peuple palestinien. (...)
Ces images contribuent, malgré elles, à caractériser, jour après jour, le déroulement d’un génocide diffusé sur les réseaux sociaux, mais silencié au plus haut niveau. Sur ce point, les images témoigneront aussi du consensus international de lâcheté qui a permis d’encourager la commission du pire.
Amnesty International
Pétition Génocide à Gaza : la France doit mettre fin à l’impunité d’Israël