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Face à la population qui manque d’eau, de nourriture et de soins, les autorités, Macron en premier, communiquent intensément sur les efforts déployés à Mayotte après le cyclone. Mais l’hôpital de campagne sans cesse annoncé ne sera pas effectif avant plusieurs jours, et le ressentiment grandit.
L’État parle-t-il trop vite ou minimise-t-il sciemment ? Depuis le passage du cyclone Chido samedi 14 décembre et la dévastation totale de Mayotte, les autorités ne cessent de communiquer sur l’aide déployée.
« Le pont aérien entre Mayotte et La Réunion est en place, rassurait le ministre des armées Sébastien Lecornu dès le lendemain Pour l’hébergement des secours, trois structures permettant l’accueil de 150 personnes sont sur place, une supplémentaire en cours d’acheminement… »
À coup de tweets et de vidéos, le gouvernement insiste chaque jour sur l’effort de l’armée qui participe « à l’acheminement et à la distribution d’eau potable et de vivres aux Mahorais, jusque dans les zones les plus reculées de l’archipel. » « L’État est debout », assurait Bruno Retailleau mardi, rappelant la mise en place d’un pont aérien pour acheminer les vivres manquants. (...)
Au fil des jours, la sidération a pourtant cédé la place à l’incompréhension et à la colère. « Des messages sont passés à la mosquée mais à part ça, on n’a aucune information, c’est comme si on n’existait pas », déplore Roukia, une aide-soignante qui a demandé à ce que son vrai nom n’apparaisse pas.
Elle vit à Dembéni, un village situé à une quinzaine de kilomètres de Mamoudzou, le chef-lieu, où elle est obligée de se déplacer pour capter le réseau téléphonique et prendre des nouvelles de ses proches. En voiture, le trajet prend une grosse vingtaine de minutes. Pourtant, personne, ni secouriste ni représentant de l’État, n’est venu s’enquérir de la situation à Dembéni.
Vendredi midi, il n’y avait eu aucune livraison d’eau ou de nourriture. (...)
Partout, ce sont les mêmes plaintes qui reviennent. Pas d’eau, pas d’électricité, pas d’information. Dans les bidonvilles de Mamoudzou, personne n’a vu le moindre secouriste ou la moindre distribution de produits de première nécessité. Mais ici, affirme Daniel Gros, représentant de la Ligue des droits de l’homme (LDH) à Mayotte, « les gens n’ont jamais rien attendu de l’État ». (...)
Dès le lendemain, les habitant·es des bidonvilles ont commencé à enlever les débris, à scier les arbres arrachés par la tempête et surtout à reconstruire leur maison, en récupérant ce qu’ils pouvaient. Pour l’eau et la nourriture, ils se débrouillent. Et pour se laver, ils attendront. « Pour eux, c’est quelque chose de normal, cela fait des années qu’ils n’attendent rien des autorités, souffle une assistante sociale qui a requis l’anonymat, et que nous appellerons Himidati. Mais tous les autres tombent de haut. Ils ont l’impression que l’État les a abandonnés. » (...)
« Les premiers camions avec des bouteilles d’eau ne sont arrivés qu’hier, avec le président Macron. Il y a eu une distribution au stade de Pamandzi et une autre à côté de la mairie de Labattoir [Pamandzi et Labattoir sont les deux communes de Petite-Terre – ndlr]. Et encore, chaque famille a eu droit à une bouteille d’eau et à quelques conserves de sardines et de raviolis. C’est ridicule, on ne nourrit pas une famille avec ça. »
Ce vendredi, il devait y avoir une autre distribution à Labattoir, mais personne n’a su, autour d’elle, où elle aurait lieu. « C’est comme ça depuis des jours. Et même avant le cyclone : ce n’est que la veille au soir qu’on a appris l’adresse des centres d’abris. C’était trop tard. »
Emmanuel Macron vivement interpellé et hué (...)
L’installation de l’hôpital de campagne discrètement reportée
Face à cette détresse, les services de l’État communiquent sur l’envoi quotidien de denrées et évoquent depuis lundi l’installation d’un hôpital de campagne totalement autonome. Une structure qui, une fois déployée, représentera une surface de « près de deux terrains de tennis », comprenant des lits d’hospitalisation, une capacité chirurgicale, une capacité d’accueil d’urgence et une capacité de soins.
« Cet établissement éphémère, permettant de prendre en charge jusqu’à 100 patients en jour, doit être opérationnel d’ici jeudi sur l’île », écrivait Le Parisien mercredi 18 décembre. Le lendemain, les autorités annonçaient qu’il serait finalement effectif ce vendredi. « Dès demain, l’hôpital militaire sera déployé », promettait encore Emmanuel Macron jeudi soir. (...)
Mais vendredi soir, l’équipement n’est toujours pas prêt et ne sera finalement pas opérationnel avant le début de semaine prochaine. Les médecins sont pourtant prêts à intervenir dès qu’ils pourront arriver sur place.
Selon nos informations, les équipes de l’ESCRIM (élément de sécurité civile rapide d’intervention médicale), le dispositif de 90 soignant·es composant cet hôpital de campagne a été engagé en situation de pré-alerte dès samedi 14 décembre et envoyé sur l’île de la Réunion le 16 décembre. Depuis, ils ne font qu’attendre.
« On est toujours sur le camp militaire de La Réunion sans avoir grand-chose à faire, regrette l’un de ses membres interrogés vendredi 20 décembre par Mediapart. On nous dit qu’il y a un problème de vecteur aérien. On se dit qu’on pourrait être utile à Mayotte. Pourquoi nous ont-il fait partir lundi alors que le matériel partait à partir de jeudi, c’est un point d’interrogation. »
Interrogée, la préfecture de la Réunion temporise et dément tout problème aérien. (...)
« Une partie du matériel arrive par voie maritime, ce qui prend plus de temps », concède-t-on seulement. L’hôpital ne sera pas donc opérationnel avant « le début de la semaine prochaine ».
Sollicités par Mediapart sur le retard de cette installation, les ministères de l’intérieur, des armées et de la santé, ont refusé de nous répondre. Le service communication de l’Armée rappelle toutefois la mise en place d’un « pont aérien et maritime » et d’un « hub logistique ».
« Depuis dimanche, les A400M réalisent des liaisons entre la base aérienne d’Orléans, Mayotte et La Réunion, avec pour objectif d’envoyer les secours, leurs matériels ainsi que de pré positionner du fret, notamment humanitaire tel que des vivres et de l’eau potable », nous indique-t-on également.
Absence d’informations
« La quasi-totalité des circuits d’eau sera rétablie ce vendredi soir et normalement toutes les communes seront approvisionnés d’ici dimanche, mais ce n’est jamais assez rapide », concède la préfecture de La Réunion. Mais la population mahoraise le sait-elle ?
L’un des deux sénateurs de l’île, Saïd Omar Oili, qui vit lui aussi à Labattoir (il en a été le maire), n’en revient pas : « On ne comprend rien, on ne voit rien, on a l’impression que tout est verrouillé. » Comme une immense majorité de Mahorais·es, lui aussi est sinistré : sa maison a été inondée, et depuis six jours il travaille d’arrache-pied pour la retaper.
Particulièrement remonté après la visite éclair d’Emmanuel Macron (lire l’encadré), il s’étonne de n’avoir vu aucun secouriste dans le bidonville de La Vigie, pour essayer de ramasser les cadavres, ou dans les quartiers en dur, pour identifier les maisons qui menacent de s’écrouler. « Même les militaires, on ne les voit pas », regrette-t-il, alors que le camp de l’armée se trouvent à quelques encablures de chez lui. (...)
La préfecture a bien mis en place une boucle WhatsApp avec les élu·es, mais selon lui, elle ne sert à rien : « Nous avons très peu d’informations, on ne sait même pas où sont organisées les distributions d’eau. »
Le corps médical n’est pas plus informé. Julien Bousac est le coordinateur général de Médecins du monde (MDM) à Mayotte. Alors que son organisation essaie d’organiser les secours depuis la France, il tente de son côté de mener des opérations de distribution sur le terrain (des pastilles pour purifier l’eau notamment), tout en étant lui-même sinistré.
Mais il manque de moyens et d’informations. « C’est fou, s’étonne-t-il. Il n’y a aucun canal d’information, ni avec la population, ni avec les élus. » Dans le village de Doujani où il vit, « il n’y a eu aucune distribution d’eau ou de nourriture », or « il y a urgence », estime-t-il, car la situation est explosive. (...)