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Exclusif - Amazonie : des banques françaises dans le sale business du gaz au Pérou
#Brésil #Amazonie #deforestation #urgenceclimatique #biodiversite #pollution #banques #CreditAgricole #TotalEnergies
Article mis en ligne le 14 janvier 2025
dernière modification le 12 janvier 2025

Le groupe Crédit Agricole détient 240 millions d’euros dans Repsol, une multinationale qui produit du gaz dans l’Amazonie péruvienne, et en tire d’importants profits, révèle France 24, en partenariat avec Disclose, RFI et le Pulitzer Center. Lors de notre enquête sur place, de nombreux habitants ont dénoncé de graves atteintes à l’environnement.

Des terres brûlées par le soleil, des ours polaires esseulés, des éoliennes qui tournent au-dessus de prairies luxuriantes, et une voix off qui prévient : "le compte à rebours a commencé". Ces images ne proviennent pas de la dernière campagne des activistes d’Extinction Rebellion, mais de vidéos produites par le Crédit Agricole. Dans sa campagne de communication destinée à verdir son image, le troisième plus grand groupe bancaire européen promet de "mettre la pression" sur ses clients pour "préserver l’avenir de la planète". Voilà pour la façade. Car, en réalité, la banque aux plus de 2 400 milliards d’euros d’actifs, est encore loin du but. Ce qu’elle ne peut ignorer, puisqu’elle achète à tour de bras des actions et des obligations d’entreprises pétro-gazières. Des multinationales pour lesquelles l’avenir de la planète ne semble pas être la priorité.

Ces opérations financières, passées sous silence dans les clips promotionnels du Crédit Agricole, transitent par une entité méconnue, mais hautement stratégique pour le groupe : sa filiale d’investissement Amundi, dont la mission est de faire fructifier l’épargne des particuliers et des capitaux confiés par des sociétés publiques ou privées. En effectuant une analyse détaillée des investissements effectués par le groupe français, Disclose, en partenariat avec France 24 et RFI, a découvert qu’en août 2024, sa filiale Amundi détenait 238 millions d’euros d’actions et obligations de l’entreprise espagnole Repsol. Une manne qui rapporte chaque année 10,8 millions d’euros au Crédit Agricole. Une autre banque française, la BPCE, a participé, en septembre dernier, à une levée de fonds de près d’un milliard de dollars pour le compte de Repsol. Cette multinationale des hydrocarbures est fortement implantée en Amérique latine. À commencer par le Pérou où, depuis 2006, elle exploite un immense gisement de gaz dans le sud-est du pays. En pleine forêt amazonienne.

Forages gaziers ultra-polluants

Disclose s’est rendu sur place pour comprendre ce qu’impliquent concrètement les investissements du groupe français dans la firme espagnole (...)

trentaine de forages liés à un méga champ de gaz baptisé Camisea. Un gisement s’étalant sur 1 700 km2 de jungle, dans la région du Bas Urubamba, et qui est constitué de trois concessions détenues par des poids lourds de l’industrie pétro-gazière : l’argentin Pluspetrol, l’américain Hunt Oil, le chinois CNPC ainsi que Repsol, qui détient 10 % de Mipaya et la majorité opérationnelle dans d’autres forages du secteur. (...)

Depuis qu’il est devenu chef du village voisin, Walter Dalguerri documente les pollutions provoquées par l’activité autour du puits de gaz. Bâches plastiques abandonnées, conduits d’évacuation des eaux endommagés… Walter photographie tout. À une exception près : les volutes de gaz toxiques, invisibles à l’œil nu, qui s’échappent de la cheminée utilisée pour brûler, à l’air libre, le gaz jugé superflu. Selon lui, la cheminée de Mipaya est fréquemment en activité. Ce qui pourrait avoir de graves conséquences pour la faune et la flore locales, mais aussi pour la santé des quelques milliers de personnes vivant alentour (...)

Au Pérou, les adeptes du torchage, à l’image de Repsol, doivent obtenir le feu vert du ministère de l’Énergie et des mines. Le problème, c’est que les responsables ne semblent pas très regardants en matière de protection de la nature et des habitant·es. (...)

d’immenses gazoducs en acier devraient prochainement être implantés pour acheminer le gaz produit par Repsol et ses partenaires vers d’autres régions du sud péruvien. (...)

"L’entreprise promet que le gaz ne pollue pas", poursuit celui sur qui repose le contrôle de Repsol en matière environnementale et sanitaire. Quant au médecin de Nuevo Mundo, s’il note un nombre important de pneumonies chez les enfants, il l’attribue aux "variations de température".

Difficile dans cette région biberonnée aux subsides des compagnies gazières de faire entendre une voix critique. (...)

Rejets d’hydrocarbures et de métaux lourds dans une rivière (...)

Disclose a demandé aux administrations chargées des industries extractives et de l’environnement l’autorisation de consulter les résultats des autocontrôles que Repsol doit réaliser tous les trois mois au niveau du point de rejet dans le cours d’eau. En vain. Guimez Rios, le contrôleur de l’environnement rencontré à Nuevo Mundo, n’en sait pas plus. "Nous ne recevons plus aucune donnée de Repsol depuis deux ou trois ans", assure-t-il. Disclose a également cherché à rejoindre le village de Porotobango, où se trouve le site pollué, pour y interroger les habitants. Mais le chef de ce village de 160 personnes s’y est opposé : sujet trop sensible.

Brûlure chimique

Nous avons tout de même réussi à échanger avec un résident de Porotobango, qui souhaite rester anonyme. Au téléphone, il rapporte que les enfants du village ont pour consigne de ne pas se baigner dans la rivière. Selon lui, des cas d’irritations cutanées surviennent encore régulièrement. (...)

Une fois extrait des tréfonds de la jungle amazonienne, le gaz produit par Repsol poursuit sa route, direction le sud du Pérou. Acheminé par gazoduc, il arrive là aussi que de graves pollutions surviennent. (...)

“On a cru qu’on allait tous mourir, on suffoquait tellement, on n’arrivait pas à ramer, témoigne-t-il. L’air était tellement chargé de gaz que deux ou trois d’entre nous ont failli s’évanouir.” Un autre se remémore les pleurs et les prières des passagers pris, comme lui, de nausées et de maux de tête.

Le reste du temps, une part importante du gaz extrait des champs de Camisea termine sa course au terminal méthanier du port de Pampa Melchorita, sur la côte pacifique. De là, il part aux quatre coins du monde sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL). Y compris vers la France : entre avril et octobre 2024, trois tankers chargés de gaz péruvien ont accosté dans l’Hexagone. Ils ont livré 220 000 tonnes de GNL pour un client bien connu : TotalEnergies. Une multinationale des énergies fossiles qui profite, elle aussi, du soutien du groupe Crédit Agricole.
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