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Mediapart
Eva Joly : « Il n’y a pas de volonté politique de combattre la corruption »
#democratie #justice #Sarkozy #droite #medias
Article mis en ligne le 3 octobre 2025
dernière modification le 1er octobre 2025

L’ancienne magistrate et candidate à la présidentielle s’inquiète des attaques contre les juges et pointe le manque de pédagogie des médias après la condamnation de Nicolas Sarkozy. Ainsi que l’apathie de la gauche sur les questions touchant à la probité.

Juge d’instruction emblématique de la lutte anticorruption, puis successivement conseillère du gouvernement norvégien sur ces questions, députée européenne, candidate écologiste à la présidentielle de 2012, et aujourd’hui avocate, Eva Joly garde un œil vigilant sur les questions de probité dans la vie publique. La polémique sur la condamnation de Nicolas Sarkozy dans l’affaire libyenne la rend pessimiste sur le climat politique et médiatique. (...)

Mediapart : Comment expliquez-vous les attaques contre les magistrat·es après le procès de Nicolas Sarkozy dans l’affaire libyenne ?

Eva Joly : Les textes interdisant aux juges de commenter leurs décisions, il n’y a pas eu d’autorité publique pour expliquer les tenants et les aboutissants de cette décision de 380 pages. Il y a eu un vide, et ce vide a été complètement rempli par la défense de Nicolas Sarkozy. Le discours qu’il a prononcé à la sortie du tribunal était de ce point de vue remarquable et très bien préparé par ses communicants. Il utilise une technique de victimisation éprouvée et parle des juges avec des mots incroyables, comme « haineux » – la dimension très sexiste de ces propos m’a d’ailleurs frappée (...)

Est-ce qu’on a passé un cap, selon vous, dans le niveau du débat public, au point de parler de réalité alternative ?

Oui, cela dépasse tout ce qu’on a vu jusqu’à maintenant, et c’est vraiment très inquiétant. C’est une attaque sur le fondement de notre démocratie. On est habitués à ce que CNews ou BFMTV disent n’importe quoi, mais que le journaliste Patrick Cohen se joigne au cœur des lamentations sur l’association de malfaiteurs, c’est un signe à prendre au sérieux. (...)

, pour l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, il y a eu un black-out médiatique. À part Mediapart, l’information n’était pas reprise alors que les faits étaient gravissimes. L’opinion n’était donc pas préparée. C’est comme si cette condamnation était tombée sans préavis, et cela malgré les réquisitions de sept ans de prison ferme contre Nicolas Sarkozy.

Pensez-vous que les arguments de la défense de Nicolas Sarkozy impriment vraiment dans l’opinion publique ?

Difficile à dire, mais je pense qu’il y a un bruit de fond, une vague pour qualifier les juges de « politiques », dire qu’ils « sortent de leur rôle ». Cela s’inscrit dans la continuité de l’affaire de Marine Le Pen et c’est exactement le même mécanisme : les gens oublient qu’elle a été condamnée en première instance pour avoir détourné 4,1 millions d’euros aux dépens du Parlement européen (elle a fait appel de ce jugement), qu’il s’agit d’un vol de biens publics pour ses proches, et ne retiennent que l’exécution provisoire. (...)

La gauche s’est en partie murée dans le silence après la condamnation. Qu’en avez-vous pensé ?

Cette réaction est ahurissante. Elle me rappelle le Parti démocrate aux États-Unis. On a un précédent qui inverse les valeurs, donne pour vrai ce qui est faux, et pour faux ce qui est vrai, et la gauche a peur dans un coin… (...)

Ils ne sont pas très nombreux ceux qui, à gauche, ont eu accès au jugement, qui l’ont lu et compris. Il y a une grande ignorance dans les partis.

Sur le plan des principes, la gauche produit en effet très peu d’idées ces derniers temps, au sujet de la prévention de la corruption…

Absolument, et ce n’est pas propre à la France. Il n’y a plus de volonté politique de combattre la corruption. Cette volonté a disparu, elle est même combattue aux États-Unis, qui étaient historiquement moteurs dans cette lutte depuis 1977. Trump a donné des instructions à la ministre de la justice pour qu’elle empêche les procureurs d’enquêter sur la corruption des multinationales. J’observe exactement la même tendance en Europe. (...)

Je ne suis pas très optimiste, mais en France nous avons l’avantage de la constitution de parties civiles, comme en Espagne et en Italie. On peut obliger l’autorité de poursuite à engager une enquête. C’est malgré tout un outil puissant qui permet, de temps en temps, de sortir des dossiers.