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Mediapart
Enfance : en l’absence de ministère, l’exécutif crée un haut-commissariat qui ne convainc pas
#enfance
Article mis en ligne le 16 février 2025
dernière modification le 13 février 2025

Promise par Emmanuel Macron et effective depuis mardi, la création de cette nouvelle instance est censée apaiser les craintes de spécialistes des droits des enfants choqués par l’absence de ministre dédié dans le gouvernement Bayrou. C’est en partie raté.

L’absence de ministre dédié à l’enfance au sein du gouvernement Bayrou avait provoqué un tollé tel, en décembre, qu’Emmanuel Macron avait promis, comme pour se rattraper, de créer un poste de haut-commissaire. Depuis mardi 11 février, c’est chose faite. Et ce jeudi, selon plusieurs médias, Sarah El Haïry, vice-présidente du MoDem, devrait être nommée en conseil des ministres à la tête de cette structure inédite, qui s’occupera non seulement de la protection de l’enfance, mais aussi de la « santé de l’enfant », du « soutien à la parentalité » ou de « l’accueil du jeune enfant ». L’opération, toutefois, est loin d’apaiser les inquiétudes des militant·es.

Quand on demande à Anniela Lamnaouar ce qu’elle attendrait de Sarah El Haïry, cette membre du Comité de vigilance des enfants placé·es répond ainsi du tac au tac : « Qu’elle mette en place un vrai ministère ! »

« Une mesure courageuse de sa part serait d’avouer qu’elle ne pourra sinon pas faire grand-chose », insiste cette jeune femme passée elle-même par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), aujourd’hui membre du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). Après le défilé, en quatre ans, de quatre ministres délégué·es (ou secrétaires d’État) en charge du sujet dans les gouvernements Borne, Attal puis Barnier, elle voit dans cette nouvelle configuration « un symbole du désengagement étatique ».

Alors même que les statistiques s’affolent : plus de 3 millions d’enfants sous le seuil de pauvreté ; plus de 2 000 à la rue ; des milliers de mineur·s en danger dans leur famille mais qui continuent d’y dormir, faute de places en foyers…

Si elle est effectivement nommée, Sarah El Haïry pourra faire valoir une certaine connaissance de l’écosystème, puisqu’elle a été ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles au sein du gouvernement Attal en 2024, sept mois durant. (...)

Quels moyens pour « peser » ?

Après l’annonce d’Emmanuel Macron, certain·es avaient au moins espéré que le poste de haut-commissaire serait rattaché à l’Élysée, sinon à Matignon. Finalement, d’après le décret publié mardi, « il est institué auprès » de Catherine Vautrin, l’actuelle ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, qui avait récupéré, en décembre, l’enfance dans son épais portefeuille.

« Je ne vois pas où on va, réagit la députée socialiste Isabelle Santiago, rapporteure de la commission d’enquête sur les manquements de la protection de l’enfance (qui termine ses auditions ces jours-ci). J’ai plus que des doutes sur la capacité d’un haut-commissariat – sans budget au moment où on se parle – à influer sur le cours politique. » Elle aussi aurait « préféré un ministre. En tout cas, sans être rattaché à Matignon, comment vous pesez, par exemple, sur les questions de justice ? » (...)

Politiquement, la vice-présidente du MoDem, battue aux législatives de 2024, a pour elle sa proximité avec le premier ministre, de même que ses tentatives, comme ancienne secrétaire d’État à la jeunesse, de faire vivre le Service national universel (SNU), pur dada du chef de l’État. (...)

Même la députée du MoDem Perrine Goulet, présidente à l’Assemblée de la délégation aux droits des enfants, s’inquiète. « Sarah El Haïry est bosseuse, très politique… Si c’est elle, elle sait comment ça fonctionne. Mais j’attendais qu’elle soit rattachée au président ou au premier ministre, pas sous-ministre. Je n’ai rien contre les anciens combattants, mais on a une ministre des anciens combattants et un haut-commissariat pour l’enfance ? » (...)

Dossiers urgents

Parmi les sujets qui devraient atterrir sur celui de Sarah El Haïry rapidement : un rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), chargée en avril 2024 de produire une nouvelle salve de recommandations. Comme membre du collège directeur, Thierry Baubet ne tient pas à se prononcer sur le modèle du haut-commissariat : « Ce qui est important, ce sont les moyens humains et financiers qui lui seront donnés. Pour l’instant, on ne sait pas très bien… »

Mais à propos de Sarah El Haïry, ce professeur en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent se dit confiant : « On la connaît, elle était ministre déléguée chargée de l’enfance quand on a été réinstallés et elle a plutôt bataillé, dans une période de tourmente, pour qu’on puisse travailler. »

Reste que la mission de la Ciivise, créée en 2021, est censée s’achever en octobre 2025, alors que « le gouvernement ne s’est toujours pas prononcé sur les premières préconisations, au nombre de 82, publiées il y a plus d’un an ». « Il reste énormément de travail et on manque de moyens », alerte Thierry Baubet, qui espère donc « pouvoir faire alliance » avec Sarah El Haïry « pour travailler sans que notre objet soit dissous dans les affaires du haut-commissariat à l’enfance en général. Parce qu’on le sait : si on ne garde pas un projecteur braqué sur le sujet de l’inceste et des violences sexuelles sur les enfants, il disparaîtra des radars. »