
Alors que l’extrême-droite martèle son discours sur « l’immigration », ses adversaires demeurent hésitants quant aux positions à adopter. Face à ce débat piégé, l’analyse des faits et la restitution des motivations des acteurs peuvent pourtant permettre d’appréhender les mécanismes essentiels de la réalité migratoire. C’est le parti que prend Maxime Guimard avec son Petit traité sur l’immigration irrégulière (Cerf, 2023) dans lequel il entreprend de déconstruire les idées reçues. Quelles sont les causes de l’immigration ? Comment s’organisent les filières ? Quel est l’impact des politiques publiques menées sur la régulation des flux ? Entretien.
LVSL – Quels sont les déterminants du départ sur les routes migratoires ?
Le projet migratoire, pris dans l’ensemble du monde, a généralement un objectif d’ordre économique (...) Cela est valable pour tous les pays (...)
La migration irrégulière ne diffère pas dans sa motivation. Elle correspond simplement à la part de la population qui, souhaitant migrer, n’a pas été admise dans une voie de migration légale existante dans le pays de destination – telle que les études, le travail ou des motifs relatifs à la vie familiale – mais dispose du capital culturel, social et économique pour s’engager dans un projet irrégulier. (...)
Mais du point de vue européen, il faut se garder d’une double erreur de perception : la première que les flux migratoires seraient essentiellement irréguliers, car ce n’est pas le cas, la seconde que les flux irréguliers passeraient forcément par un franchissement lui-même irrégulier de la frontière à l’aide d’un passeur, par exemple en mer ou dans les Balkans.
LVSL – Quelles sont les voies d’arrivée privilégiées ? Comment s’organisent les filières ? Quels en sont les acteurs ?
Une part incertaine mais vraisemblablement significative des personnes en situation irrégulière sur le territoire européen y est parvenue de façon régulière, et s’y est maintenue au-delà de la durée autorisée pour leur séjour, qu’elles aient obtenu un visa préalable, ou qu’elles en soient dispensées comme une soixantaine de nationalités dans le monde. (...)
LVSL – Quel est l’impact des politiques publiques européennes sur les flux en Méditerranée ? Les traversées ont-elles baissé ou augmenté sous l’effet de certaines législations ?
Les flux en Méditerranée, en particulier sur la voie centrale depuis la Libye jusqu’à l’Italie, ont fait l’objet d’importantes variations depuis 2011, année où la Jamahiriya s’est effondrée. Ces flux se modélisent relativement bien sous la forme d’un marché. En l’espèce, les mesures de coercitions agissant soit sur les chances de réussite du voyage, soit sur celles d’admission au séjour, parviennent à réduire le nombre de migrants irréguliers et de passeurs, en provoquant une hausse du prix d’équilibre, au détriment évidemment de la satisfaction des migrants. L’effet est hétérogène selon les nationalités puisqu’elles n’ont pas toutes les mêmes moyens. (...)
LVSL – L’idée d’appel d’air est largement critiquée : l’attractivité sociale d’un pays ne suffisant pas à expliquer la réalité migratoire… Que conclut votre ouvrage à ce sujet ?
Le terme d’appel d’air est improductif si on ne définit pas ce à quoi il est fait référence. Il a en effet été largement rappelé que les prestations sociales (d’ailleurs rares pour les étrangers sans titre), ou les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, par exemple, ne constituent pas un élément déterminant du choix de destination pour un migrant, qu’il soit parvenu sur le territoire européen, ou encore en transit dans un pays tiers. (...)
Ce constat ne doit néanmoins pas amener à nier toute rationalité au migrant, qui procède bel et bien à un calcul relativement informé avant de décider où tenter de s’installer. (...)
Plus généralement, lorsqu’il s’agit de décrire ou de modéliser une tendance migratoire, il faut garder à l’esprit la grande diversité des circonstances existant sur la planète et préciser le contexte considéré. (...)
LVSL – Vous rappelez que l’Europe est le continent qui expulse le moins. Comment l’expliquer ?
De fait, l’Europe démocratique s’est tenue à l’écart des grandes expulsions collectives de la seconde moitié du XXe siècle. (...)
Le reste du monde est quant à lui marqué jusqu’à aujourd’hui par l’exercice fréquent des éloignements de masse, dont la mémoire est méconnue en Europe, mais qui concernent des millions de personnes. (...)
Il est donc erroné de se représenter l’expulsion comme la scène d’un affrontement entre le Nord et le Sud.
Aujourd’hui, dans tous les pays occidentaux, la pratique du retour a été policée et régulée. L’expulsion collective, sans examen individuel de la situation, a été proscrite. (...) C’est donc à plus forte raison le cas lorsqu’une procédure implique la coopération d’un pays tiers, pas toujours accommodant d’un point de vue diplomatique.
Néanmoins, même dans ce cadre juridique démocratique, les États-Unis ou le Canada parviennent davantage à réduire l’écart entre la prétention des États à éloigner en édictant des mesures administratives, et leur exécution réelle. (...)