Dans le nord de la Colombie, le village flottant de Nueva Venecia lutte pour sa survie. Une plante invasive asphyxie la lagune, tue les poissons et menace les pêcheurs. « C’est dur, très dur », soufflent-ils.
« Cet endroit est magique, on ne peut pas le laisser disparaître », soupire Carlos Ibrañez, guide touristique et habitant de la Cienaga Grande, immense lagune au nord de la Colombie, classée réserve de biosphère par l’Unesco. Ce delta du Magdalena est un écosystème unique : 4 200 km² d’un fragile équilibre entre l’eau douce du fleuve et l’eau salée de la mer des Caraïbes, quatre variétés de mangroves, plus de 50 espèces d’oiseaux. Sur ses eaux, trois villages sur pilotis tiennent encore debout, et parmi eux, le plus emblématique, El Morro, renommé depuis quelque temps Nueva Venecia (Nouvelle Venise) en hommage à la ville italienne.
Ce village flottant aurait été fondé il y a plus de deux siècles. Ses 3 500 habitants vivent exclusivement de la pêche, directement ou indirectement. Leurs maisons de bois peintes de couleurs vives se reflètent dans l’eau et offrent un décor de carte postale. Depuis l’embarcadère de Puerto Viejo, il faut une heure et demie de navigation pour rejoindre Nueva Venecia. Hérons et aigrettes attendent sur des bouts de bois enfoncés dans l’eau.
Il est à peine 6 h30 et les pêcheurs rament déjà dans leur canoë de fortune, le visage complètement couvert pour se protéger du soleil naissant. Mais à l’approche du village, le décor se fige sous une couverture verte. L’eau semble coagulée. (...)
. « D’après nos calculs, la plante se duplique tous les dix jours et elle recouvre déjà 10 km² sur la quinzaine que représente Nueva Venecia », alerte Carlos Rivera, biologiste de l’Université de la Javeriana. Classée espèce invasive dans plus de 40 pays, elle asphyxie la Ciénaga, bloque la lumière et prive l’eau d’oxygène. (...)
Personne ne sait comment l’hydrilla est arrivée ici. Mais les scientifiques s’accordent : son expansion est la conséquence d’un déséquilibre ancien. En 1956, la construction d’une route côtière a bouleversé l’équilibre de la lagune en rompant la circulation naturelle entre la mer et les eaux intérieures. Le flux d’eau salée s’est tari, modifiant la salinité et l’oxygénation du milieu : les mangroves, privées de ce mélange vital d’eau douce et d’eau salée, ont dépéri.
« Cette zone était très productive, on y trouvait des poissons d’eau salée ; mais comme la voie a bloqué l’eau de la mer, ils ont disparu », explique Carlos Rivera. La communauté a dû s’adapter et changer ses pratiques de pêche. (...)
« La dernière fois que je suis sorti pécher, il était 3 heures du matin et je suis revenu à 18 heures avec un seul poisson pour nourrir mes quatre enfants et ma femme. » (...)
Comme lui, les pêcheurs peinent de plus en plus à ramener de quoi manger à leur famille. « Les poissons se cachent sous la plante, certains meurent parce qu’il n’y a plus d’oxygène, nos filets se coincent et on ne peut plus naviguer sereinement : c’est un cauchemar », résume Annibal Rodriguez, un pêcheur de 70 ans, la peau tannée.
« On ne sait rien faire d’autre que pêcher »
Le 9 septembre, la mairie de la Ciénaga a décrété l’état d’urgence en raison de la grave menace qui pèse sur « la santé publique, la sécurité alimentaire, la mobilité et l’économie locale ». En vertu de ce décret, les services municipaux ont été chargés de solliciter des ressources auprès du gouvernement national, de la Corporation autonome régionale du Magdalena (Corpamag) et même du Système de gestion des risques de catastrophes.
Début octobre, une machine a bien été envoyée pour dégager l’eau quelques jours, « mais c’est ridicule », s’agace Elsy. Faute de soutien, les habitants paient eux-mêmes des journaliers pour arracher la plante à la main. (...)
Au-delà de l’impact économique, la santé publique est désormais menacée. Depuis l’arrivée de l’hydrilla verticillata, plusieurs habitants présentent des irritations cutanées et des allergies. Les enfants, eux, ne peuvent plus se baigner. (...)
En cas d’urgence médicale, quitter la Ciénaga est devenu presque impossible : les barques s’enlisent dans la végétation. (...)
Une lagune étouffée (...) (...) (...) (...)