Oxitec Australia, entreprise conjointe entre Oxitec, une entreprise qui modifie génétiquement des insectes, et le CSIRO, l’organisation gouvernementale australienne de soutien à la recherche scientifique et industrielle, déposait, en juillet 2024, un dossier de demande d’autorisation commerciale pour un moustique Aedes aegyptii génétiquement modifié. La modification génétique visait à n’avoir qu’une descendance mâle lorsqu’il s’accouple avec une femelle sauvage. Il s’agit de la technique brevetée qu’Oxitec tente de déployer dans plusieurs pays, appelée « stérilité mâle biaisée ». Ce moustique est, en effet, un des vecteurs de la dengue. Sur le papier, l’idée est que si le nombre de moustiques vecteurs est moindre, la maladie sera de facto moins présente.
Un projet de vente de moustiques transgéniques à des particuliers
La demande d’autorisation commerciale visait les habitants de l’État du Queensland, au nord de l’Australiei. Il s’agissait de vendre des petites boîtes avec des larves du moustique transgénique. De telles boites sont déjà en vente au Brésilii.
Cette demande a été soumise à une consultation du public entre le 14 mai et le 7 juillet 2025iii. L’agence en charge de l’évaluation de ce moustique résume la consultation en quelques mots : « Nous avons entendu le soutien pour la libération des moustiques GM », mais aussi « des préoccupations de l’impact négatif potentiel pour les personnes et l’environnement », ou encore « des préoccupations quant à l’impact de l’efficacité de la technologie OGM »… Bref, une synthèse tellement laconique qu’elle ne permet pas de savoir réellement ce que la population, les ONG et les institutions locales pensent de disséminer des milliers de moustiques transgéniques dans l’environnement.
Surtout, en novembre 2025, Oxitec Australia a retiré sa demande d’autorisation. Les deux actionnaires de cette entreprise, Oxitec et le CSIRO, n’ont pas publié de communication officielle expliquant les raisons précises de leur retrait. Ce qui est sûr, c’est que les citoyens et les citoyennes de l’État n’étaient pas très favorables à ces lâchers, comme en témoigne la pétition adressée au Parlementiv, qui a récolté plus de 7 500 signatures. (...)
Un article scientifique de Perran Stott-Rossv, de l’Université de Melbourne, publié dans sur le site phys.orgvi, le 26 février 2025, pourrait bien avoir joué un rôle important. Ce chercheur est reconnu pour son expertise sur les moustiques. Cet article explique pourquoi les moustiques d’Oxitec sont problématiques. Résumons-le. (...)
il écrit : « la dissémination de moustiques génétiquement modifiés pourraient saper les interventions actuelles de lutte contre la dengue. La transmission de la dengue dans le Queensland est presque éradiquée grâce à un programme de contrôle réussi qui fonctionne maintenant depuis plus d’une décennieix. Il s’agit de remplacer les populations sauvages d’Aedes aegypti par celles qui transportent la bactérie Wolbachia, ce qui les rend moins capables de transmettre la dengue ». En gros, si les moustiques d’Oxitec s’accouplent avec des moustiques femelles porteurs de la bactérie Wolbachia, ils seront contre-productifs, puisque réduisant la population femelle, qui se trouve être celle porteuse de la bactérie permettant de lutter contre la dengue. D’autant plus que, comme le souligne ce chercheur, « contrairement à Wolbachia, qui a peu d’impact sur la taille de la population de moustiques, les moustiques génétiquement modifiés sont destinés à les éliminer ». Cela augmente donc le risque que les moustiques sans Wolbachia s’établissent par le biais d’introductions accidentelles ou de moustiques dérivés de la souche GM. (...)
L’autre source d’inquiétude pour ce chercheur est liée à la souche de moustique importée. Il nous apprend qu’il s’agit d’une souche mexicaine, donc exogène à l’écosystème australien, et n’a pas été testé dans ce contexte. Il met en avant deux éléments. Premièrement, il note que les moustiques australiens sont très sensibles aux insecticidesx en comparaison avec les autres moustiques. Or, dit-il, la dissémination d’une souche de moustiques d’un autre pays pourrait introduire des gènes qui provoquent une résistance aux insecticides.
Deuxièmement, l’adaptation au climat est une autre préoccupation. Les moustiques mexicains pourraient introduire dans la population australienne des gènes qui les rendent plus tolérants aux climats secs ou à d’autres conditions. « Nous ne savons pas vraiment quel sera l’effet de cela, mais c’est un risque potentiel », conclut-il dans son article.
Enfin, il regrette qu’Oxitec n’ait pas étudié les interactions entre la modification génétique et Wolbachia. Pour lui, il s’agit d’un « oubli étonnant », car, actuellement, presque tous les Aedes aegypti dans le Queensland sont porteurs de la bactérie Wolbachia.
Oxitec investit désormais massivement dans la stratégie Wolbachia
Une autre explication du retrait de la demande d’Oxitec ne serait-elle pas que cette entreprise serait en train d’abandonner discrètement la stratégie transgénique au profit d’une autre stratégie d’élimination des moustiques ? (...)
Un consortium international, le World Mosquito Program (WMP), a mis au point des moustiques Aedes aegyptii stériles en leur inoculant la bactérie Wolbachia. Les moustiques Wolbachia sont « vendus » comme « non-OGM », même si, au niveau scientifique, la question reste en discussionxi. L’OMS soutient la stratégie Wolbachia et elle est plus critique vis-à-vis de la stratégie transgénique, notamment parce que l’une remplace la population alors que l’autre vise à son élimination. Or, les conséquences écologiques d’une possible éradication ne sont pas connues. (...)
Actuellement le WMP est présent dans 11 pays : Brésil, Colombie, Mexique, Indonésie, Sri Lanka, Vietnam, Australie, Fidji, Kiribatixii, Nouvelle-Calédonie et Vanuatu. Ceci représente donc un marché important pour des entreprises qui se mettraient à vendre des moustiques Wolbachia à des collectivités locales ou des particuliers.
Alors qu’Oxitec dénigrait cette approche quelques années auparavant, elle a récemment décidé d’investir massivement dans la production de « moustiques wolbachia ». Elle a intégré cette technologie dans son éventail de solutions en lançant la marque SparksTM, en 2024, notamment grâce à un énième financement de plusieurs millions de dollars par la Fondation Bill et Melinda Gates. Cet argent a entre autres permis à Oxitec de créer une usine, considérée comme la plus grande usine de production de moustiques Wolbachia au monde. (...)
D’après nos recherches, bien que la technologie Wolbachia soit couverte par plusieurs brevets, il semblerait qu’Oxitec n’a pas eu à payer pour acquérir cette technologie. En effet, cette dernière a été développée par des universités, notamment l’Université de Monash (Australie) et le WMP, un consortium à but non lucratif financé par des subventions philanthropiques (comme, encore une fois, la Fondation Bill et Melinda Gates) et gouvernementales. Historiquement, le WMP avait déjà des usines de production de moustiques Wolbachia, comme celle de Medelin (Colombie).
L’agriculture n’est jamais loin
On évoquait dans nos précédents articles que les maladies vectorielles pourraient être un cheval de Troie pour une utilisation de la technologie d’Oxitec sur des parasites agricoles. La stratégie Wolbachia pourrait, elle aussi, être utilisée en agriculture. (...)
La stratégie Wolbachia adaptée à l’agriculture est considérée, en France, mais dans d’autres pays également, comme un outil de biocontrôle, car elle mime les mécanismes naturels. C’est le même raisonnement qui pousse certains industriels à faire accepter les sprays ARNi dans les outils de biocontrôle.