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« Six » ans après, avons-nous mesuré la teneur révolutionnaire des Gilets jaunes ? Ils ont inventé une écologie du quotidien, sociale, et résolument politique, écrit notre journaliste Gaspard d’Allens dans ce billet.
Où êtes-vous ? Où sont passés nos cris et nos colères, jetés à la gueule des puissants ? Dans quelle anfractuosité se sont-ils cachés ? Dans quel océan de rancœur se sont-ils dilués ? Pourquoi avons-nous rangé nos gilets ?
Partout, les prix augmentent, les inégalités explosent, la catastrophe nous assaille. Mille raisons nous oppressent. Et vous n’êtes plus là. Nous devons apprendre à vivre dans les restes d’un rêve, à habiter le manque, à lui survivre, à honorer nos mémoires. Il est rare de voir ceux d’en face trembler et de sentir en nous la force de tout renverser.
(...) Six ans sont passés, mais les leçons politiques des Gilets jaunes nous hantent encore. L’irruption de la révolte a posé les bases d’une mue. Elle a pris de court les garants de l’ordre existant et embrasé le pays. Son incandescence a fait voler en éclat les mythes d’une transition écologique imposée par le haut. Elle a mis le capitalisme vert en échec, avec ses taxes pour les uns et ses dorures pour les autres. (...)
On sait ce qui s’est joué ensuite. Le retour de bâton. La répression. La violence. Le pouvoir qui s’arc-boute et se défend comme un enragé, qui invente des artefacts et des débats bidons pour détourner la colère ou la neutraliser. Dans les milieux militants, nous avons connu l’échec et le deuil, l’absence et le vide. Les rues qui retournent à l’ordre marchand, les centres des villes quadrillés par la police et la pandémie qui nous confine.
Nous n’avons pas encore digéré ce qui s’est passé. Nous n’avons pas encore mesuré la teneur révolutionnaire du moment. Mais nos sociétés auraient pu prendre un autre chemin. Quelque chose de décisif s’est joué cet hiver-là. Une brèche qui s’est si vite refermée.
Inventer une écologie populaire (...)
Les Gilets jaunes ont inventé une écologie du quotidien, résolument politique et située, faite de débrouille et de bricolage. Une écologie sociale qui part des besoins, une écologie populaire qui exigeait que tout le monde se regarde bien en face, depuis ses privilèges et son ancrage.
Indéniablement, au vu de la situation actuelle, nous, les écologistes, avons raté quelque chose. L’alliance de la fin du mois et de la fin du monde n’a pas réussi à prendre forme. Elle est restée un slogan, freiné et bloqué par les petites bureaucraties bien installées, les frileux du débordement, les puristes de l’identité. (...)
Si nous devons retenir une leçon de cet épisode, c’est bien de devoir apprendre à « descendre dans la mêlée avec humilité », de refuser l’entre soi. Alors que la colère agricole se réveille, nous devons retrouver la même curiosité pour l’altérité, la même empathie et ne pas laisser des institutions ennemies diriger la colère contre des boucs émissaires faciles, en imposant leur récit conservateur. (...)
c’est dans les Assemblées des assemblées que nous avons renoué avec la démocratie directe et l’autogestion. C’est dans la lutte que l’imagination est revenue au pouvoir. Et c’est par elle que nous retrouverons pied.