
Dans l’univers carcéral, la discipline est omniprésente et régit la vie entière des personnes emprisonnées, en les soumettant à un régime particulièrement coercitif. « En prison, tout ce qui n’est pas autorisé est interdit »[1], écrivaient les sociologues Georges Benguigui, Antoinette Chauvenet et Françoise Orlic en 1994.
Le constat est toujours valable aujourd’hui
(...)
Certaines clauses sont en outre si larges – comme celle de « refuser d’obtempérer immédiatement aux injonctions du personnel de l’établissement » – qu’elles permettent de sanctionner à peu près n’importe quel comportement. (...)
En 2022, près d’une personne détenue sur deux a fait l’objet d’un compte-rendu d’incident (CRI). Ces écrits administratifs, points de départ de la machine disciplinaire[3], sont souvent sommaires. (...)
Une instance intrinsèquement partiale
Lors de la commission de discipline, les personnes détenues comparaissent dans une mise en scène qui n’est pas sans rappeler le cadre du procès pénal. Mais ce vernis de juridictionnalisation ne suffit pas à cacher l’extrême déséquilibre des rapports de force. La commission est en effet présidée par le directeur d’établissement[5], celui-là même qui a décidé des poursuites, qui se trouve également être le supérieur hiérarchique des surveillants avec lesquels la personne détenue se trouve potentiellement en conflit. (...)
Des droits de la défense peu garantis (...)
lorsqu’ils peuvent faire le déplacement, le pouvoir des avocats est limité par leurs conditions d’intervention. La plupart du temps, ils ne prennent connaissance du dossier que la veille ou le jour même et ont rarement plus de trente minutes pour échanger avec leur client avant l’audience. En outre, tous déplorent la faiblesse des moyens à leur disposition pour appuyer la défense de leurs clients. (...)
À l’issue des commissions de discipline, c’est le plus souvent un sentiment d’injustice mêlé d’impuissance qui prédomine chez les prisonniersÀ l’issue des commissions de discipline, c’est le plus souvent un sentiment d’injustice mêlé d’impuissance qui prédomine chez les prisonniers (...)
Mais si beaucoup contestent les décisions rendues, seule une extrême minorité s’engage dans des recours : en 2022, seulement 2 % des sanctions ont fait l’objet de recours hiérarchiques. Un taux qui traduit moins la satisfaction des personnes devant les décisions que la faiblesse intrinsèque du dispositif juridique (...)
De fait, les chances d’obtenir gain de cause sont très faibles : le pourcentage de recours ayant abouti à une annulation de la décision oscille entre 3 % et 20 % suivant les directions interrégionales. En outre, le recours n’étant pas suspensif, la sanction est de toute façon purgée bien avant que la requête ne soit examinée.
Le « mitard », châtiment d’un autre âge (...)
« Celui qui a inventé le mitard, il ne l’a pas essayé. Il ne peut pas comprendre cette haine qui naît en nous et cette colère, et ce sentiment de ne valoir rien du tout, de n’exister aux yeux de personne. On vous condamne à un moment de solitude, d’abandon, de déshonneur complet. On a cette impression que personne ne veut nous regarder, personne ne veut nous entendre. Comme si [on nous disait] “va mourir dans ton coin”, “va souffrir dans ton coin” », confie encore Mohamed. (...)
Expression ultime d’un mal-être, les tentatives de suicide sont aussi extrêmement fréquentes. (...)
Le placement au quartier disciplinaire apparaît finalement aussi inhumain que contre-productif – pour ne pas dire destructeur. Un constat qui plaide pour sa suppression, comme y invitent les institutions internationales (lire l’encadré). L’expérience d’autres pays montre que celle-ci est non seulement souhaitable, mais aussi possible.