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Mediapart
« Devoir de vigilance » : Paris, Berlin et Rome piétinent le travail du Parlement européen
#ParlementEuropeen #devoirdevigilance
Article mis en ligne le 1er mars 2024
dernière modification le 29 février 2024

Au dernier moment, l’Allemagne, la France et l’Italie se refusent à entériner l’accord intervenu en décembre sur le « devoir de vigilance ». L’avenir de ce texte, qui lutte contre les violations de droits humains et les dégâts environnementaux des entreprises, est fortement compromis. « Si cette directive ne passe pas, Macron aura du sang sur les mains », juge Manon Aubry (LFI).

L’affaire semblait pliée le 14 décembre. Après quatre ans de travail à Bruxelles, un accord était tombé sur la mouture finale d’un « devoir de vigilance » bientôt obligatoire pour les plus grandes entreprises sur tout le continent européen. Celles-ci devraient, non seulement surveiller leur « impact négatif sur les droits humains et l’environnement », mais surtout, y mettre fin.

Dix ans après l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, l’Union européenne accomplissait enfin une « révolution juridique », voulaient croire les plus optimistes, pour contrer, par exemple, l’esclavage des Ouïghours en Chine. Et ce, même si l’ambition du texte avait été rabotée dans les derniers mois de 2023, sous la pression notamment de la France, qui a obtenu l’exclusion de tout le secteur financier du champ du texte.

Mais c’était sans compter l’activisme de dernière minute d’États, dont la France de nouveau, qui se refusent désormais à entériner l’accord de décembre. Cette volte-face est d’autant plus spectaculaire qu’Emmanuel Macron avait lui-même pris fait et cause, le 19 janvier 2022, pour un texte européen sur le « devoir de vigilance », devant le Parlement européen à Strasbourg. (...)

Aux abstentions de l’Allemagne et de l’Italie s’ajoute une demande française inattendue, d’après une version d’abord avancée par Manon Aubry sur X mardi, et confirmée mercredi auprès de Mediapart par une source européenne : la redéfinition du seuil à partir duquel les entreprises sont concernées par ce « devoir de vigilance ». (...)

Dans le compromis de décembre, le texte s’impose aux entreprises qui comptent au moins 500 salarié·es et un chiffre d’affaires supérieur à 150 millions d’euros. Paris, non content d’avoir déjà exclu les banques du périmètre de l’accord, plaide désormais pour un seuil à... 5 000 salariés. Ce qui revient à exclure, d’après les calculs des Amis de la Terre, pas moins de 80 % des entreprises concernées par la directive originale. Toujours d’après cette ONG, Bruno Le Maire a réalisé un voyage en personne à Bruxelles, la semaine dernière, pour défendre ce projet.

Sollicité par Mediapart, l’Élysée n’a pas répondu à nos questions. Du côté de Bercy, on ne réfute pas explicitement la position française sur les seuils (...)

Lara Wolters, la rapportrice du texte, a qualifié le chiffre de 5 000 d’« astronomique, très au-delà du mandat donné par le Parlement comme le Conseil » (...)
« Si cette rumeur est avérée, cela constitue un cas de mépris flagrant vis-à-vis du Parlement européen, et vis-à-vis de processus démocratiques de prise de décision, avec des patrons français en ligne directe avec le président. » Notamment parce qu’à aucun moment du processus de négociations, en cours depuis des années à Bruxelles, Paris est monté au créneau avec cette réclamation sur le seuil (qui reprend le chiffre de la loi française de 2017).

« C’est le mépris d’un travail législatif qui a duré cinq ans », renchérit Manon Aubry. (...)

Des similitudes existent avec le blocage d’un autre texte très attendu par la société civile, celui sur les travailleurs des plateformes : des États, dont la France, s’étaient opposés en décembre dernier à l’accord provisoire pourtant intervenu en « trilogue » quelques jours plus tôt, entre Parlement, Conseil et Commission.

Plusieurs sources européennes avec lesquelles Mediapart a échangées jugent le dossier « devoir de vigilance » désormais très mal engagé. (...)

Sans un déblocage côté Conseil d’ici au 15 mars, le texte risque d’être renvoyé au prochain mandat, avec un Parlement peut-être plus à droite. Une réunion des ministres concernés est prévue le 7 mars à Bruxelles, qui s’annonce déjà comme celle de la dernière chance - à laquelle plus grand monde ne croit.