
TRIBUNE. La décision de désinscrire Nour A. de Sciences Po Lille puis son expulsion au Qatar constitue un précédent grave sans équivalent dans l’histoire de notre institution : nous dénonçons les pressions qui ont mené à cette décision. Au-delà de la reconnaissance de la Palestine, l’urgence est à la reprise et à l’extension des procédures d’accueil des PalestinienNEs.
Le 30 juillet 2025, le signalement des retweets de l’étudiante gazaouie Nour A. par un activiste d’extrême-droite a conduit à un véritable emballement institutionnel et médiatique autour du refus de toute forme d’hospitalité à son égard – et à l’égard de l’ensemble des réfugiéEs gazaouiEs. Le jour même, le directeur de l’IEP indiquait s’être rapproché du rectorat et du ministère de l’Enseignement Supérieur pour engager sa désinscription, tandis que le préfet et la rectrice saisissaient le procureur.
Les propos repartagés par Nour A. sont graves, infamants, antijuifs et antisémites et nous nous devons de ne jamais les banaliser. Devaient-ils pour autant constituer une affaire d’État propre à faire des retweets d’une jeune femme la cause d’un revirement dans la politique d’accueil de toustEs les étudiantEs gazaouiEs ? Justifiaient-ils que la France se dispense de ses obligations internationales d’accueil des réfugiéEs ? Devaient-ils même lui valoir à elle, l’expulsion et la fin d’un espoir d’une vie meilleure après le génocide ? C’est près de deux millions de PalestinienNEs qui sont aujourd’hui en danger à Gaza, menacéEs par la famine, sous le feu d’opérations israéliennes toujours plus invasives, qui par ailleurs sont étendues à la Cisjordanie. Une fois encore, une procédure d’exception vise les PalestinienNEs, et il ne s’agit pas de dispositifs d’accueil spécifiques en raison du génocide mais de dispositifs d’exclusion spécifiques en raison du racisme qu’ilEs subissent. Les procédures d’accueil des étudiantEs gazaouiEs, qui reposent sur la discrétion des ambassades, consécutives à de lourdes démarches doivent davantage être questionnées pour leur élitisme social que pour leur laxisme : conditionnées à des ressources, à un cursus préalable, aux contacts que les étudiantEs auront su nouer avec les établissements français, elles favorisent les élites, à rebours des programmes qui visent "la diversité sociale et la démocratisation des études" qui font la fierté de nos directions successives et en particulier de Sciences Po Lille.
En réalité, la désinscription de Nour A. et son expulsion ne sont pas fonction de la politique spécifique de Sciences Po Lille, mais de l’alignement de notre école sur les postures réactionnaires du gouvernement
Que des cybermilitants d’extrême-droite interpellent une institution publique, dénoncent le directeur de Sciences Po Lille pour sa solidarité et reçoivent des réponses favorables en cascade du ministre de l’Intérieur, du ministre de l’Enseignement supérieur et du ministère des Affaires étrangères est préoccupant. Ces activistes ne visaient pas seulement à "alerter" des propos d’une étudiante, mais à mettre en cause la solidarité avec les PalestinienNEs en faisant pression sur la direction de Sciences-Po Lille. En l’acceptant, cette dernière s’aligne sur une théorie conspirationniste d’extrême-droite selon laquelle les réfugiéEs gazaouiEs feraient preuve d’un entrisme idéologique. Quel contraste avec le choix de Jean-Louis Thiébault, directeur de l’IEP en 2000, de ne pas déloger les étudiantEs et le comité de défense des sans-papiers qui occupaient les locaux rue de Trévise, et ce, malgré les pressions ! (...)
Depuis janvier, nous observons avec inquiétude le gouvernement français répondre favorablement aux polémistes d’extrême-droite et flatter leurs dénonciations : de la polémique sur la prestation d’un humoriste assigné à l’islam reprise par Rachida Dati à l’instrumentalisation médiatique des propos antisémites d’une étudiante gazaouie par les figures les plus répressives du gouvernement pour dénoncer "la propagande du Hamas", le continuum de l’islamophobie d’État va croissante et réactive le consentement au génocide du peuple palestinien.
Par contraste, le soutien au peuple palestinien et les opérations de boycott ont fait l’objet d’une répression violente, disproportionnée, y compris au sein des IEP dont celui de Lille. (...)
Nous appelons l’ensemble des IEP à s’engager pour l’accueil des étudiantEs palestinienNEs et à mettre en place des programmes spécifiques d’accueil pour ces étudiantEs dont les universités ont été partiellement détruites par une guerre que nous avons laissé se dérouler sous nos yeux. Plus que jamais, nos universités doivent renouer avec leurs valeurs d’ouverture, indissociables de leur vocation pluraliste et contestataire, et s’engager pour l’accueil inconditionnel des oppriméEs.
Amnesty International
Pétition Génocide à Gaza : la France doit mettre fin à l’impunité d’Israël