
Le 13 octobre, la branche française d’Uber était assignée devant le tribunal de commerce de Paris par 2 500 chauffeurs de taxi l’accusant de « concurrence déloyale ». Ces derniers réclament près de 456 millions d’euros de réparation et l’obligation pour Uber de salarier ses chauffeurs.
La cohue est exceptionnelle pour le lieu, d’ordinaire feutré. Vendredi 13 octobre, la salle numéro 1 du tribunal de commerce de Paris, la plus grande, affiche complet. Sous les dorures, s’affrontent les avocats d’Uber France et ceux des 2 480 taxis et 9 associations qui ont intenté une action de groupe contre le géant californien pour « concurrence déloyale ».
Lancée début 2021, l’action contre le groupe américain est inédite par son ampleur, tant par le nombre de plaignants que par les montants évoqués. Au titre de la concurrence déloyale qu’ils dénoncent, les taxis réclament pas moins de 456 millions d’euros. Et ils demandent à la justice d’imposer que l’entreprise salarie ses chauffeurs. (...)
L’audience intervient quelques jours après un jugement vu comme un feu vert par le camp des taxis. Le 4 octobre, la cour d’appel de Paris a condamné Uber à indemniser 149 taxis à hauteur de 850 000 euros, pour concurrence déloyale justement. Si ce jugement concerne un autre service, Uberpop, qui, jusqu’à son interdiction en 2015, permettait à des particuliers de s’improviser chauffeurs, il a tout de même tendance à rassurer les professionnels présents dans la salle.
Le public est très largement acquis à la cause des taxis. (...)
L’argumentaire des plaignants se fonde en grande partie sur l’arrêt de la Cour de cassation du 4 mars 2020, qui avait jugé qu’un chauffeur d’Uber aurait dû bénéficier du statut de salarié, avec tous les avantages afférents (couverture sociale et maladie, paiement des heures supplémentaires et des congés, etc.), et ne pouvait pas être considéré comme un indépendant, comme c’est pourtant le cas de la plupart des 30 000 conducteurs de VTC (voiture de tourisme avec chauffeur).
Les taxis considèrent qu’en faisant travailler ses chauffeurs comme des indépendants, Uber fausse la concurrence, puisqu’il s’épargne une bonne partie des dépenses et des cotisations sociales que l’employeur d’un·e salarié·e doit payer. (...)
Pour le conseil des plaignants, Uber signe « le retour du tâcheronnage ». (...)
Côté Uber, on plaide « l’innovation ». « Les taxis ont profité du développement du marché permis par la plateforme », lance Yoann Boubacir, l’avocat de la plateforme, déclenchant les rires du public. (...)
Walid Hamida, président de l’association Team Taxi, ne voit là pas autre chose qu’un « état d’anarchie » imposé à un marché « qui était réglementé pour la sécurité des gens, pas seulement pour contraindre ». (...)
« L’objectif des plateformes, c’est de tuer l’indépendance du métier d’artisan taxi pour se partager le marché », estime le président de Team taxi, pour qui son milieu professionnel « est le rat de laboratoire de la dérégulation ». Si le combat des taxis est perdu, d’autres domaines visés par l’ubérisation seront eux aussi perdants. Me Dubucq résume l’enjeu : « Ce sont deux projets de société qui s’affrontent. » (...)