
La santé mentale des enfants et des adolescents se détériore. Anxiété et dépression touchent beaucoup de jeunes. Les services de psychiatrie sont débordés, mais des praticiens développent des réponses pour aider les jeunes à aller mieux.
En cinq ans, la santé mentale des jeunes s’est considérablement dégradée. C’est le constat dressé en avril par Santé publique France après une étude auprès de 9300 lycéen·nes et collégien·nes. Un quart des lycéen·nes interrogé·es indiquent avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois, qui concernent bien plus de filles que de garçons. Une étude Ipsos publiée début 2024 (et menée en 2023), observe de son côté que la moitié des 11-15 ans souffre d’anxiété.
Des personnels soignants ont décidé de prendre le problème à bras-le-corps. C’est le cas d’Equipaje, une unité d’intervention de psychiatrie pluridisciplinaire née au CHU de Nantes (Loire-Atlantique) il y a tout juste un an. Composée d’infirmiers, d’une psychologue, d’une assistante sociale, d’une cadre de santé et d’un médecin-psychiatre, Equipaje peut suivre jusqu’à six jeunes de 15 à 20 ans. (...)
Là où les psychiatres libéraux ne sont plus en mesure d’accepter des patient·es et où certains centres médico-psychologiques (CMP) ont un délai d’attente compris entre un et deux ans, l’équipe répond en quelques jours et fixe un rendez-vous en moins de deux semaines. Un record à Nantes. (...)
« Equipaje a été pensée en ce sens, pour offrir une réponse rapide à la crise. Notre rôle est d’évaluer rapidement ce qu’il se passe, d’apaiser d’éventuelles difficultés relationnelles, de créer une intervention "à la carte", détaille Thibault Desrues. Le lieu, hors CHU, apparaît aussi moins menaçant pour les jeunes qui sont en capacité de s’y rendre. On n’impose ni prise en charge lourde ni hospitalisation. D’ailleurs, des études remettent en cause l’idée qu’il faut hospitaliser les personnes suicidaires . »
Les professionnel·les d’Equipaje essayent de maintenir ce qui fait la force de l’unité : sa réactivité. L’équipe réalise une évaluation, un bilan, prévoit une réorientation vers d’autres services si nécessaire, repère les situations qui nécessitent un suivi plus long (...)
La temporalité de l’adolescence est un des combats de la professeure Marie Rose Moro. Cheffe de service de la Maison de Solenn, l’unité de prise en charge psy des adolescent·es de l’hôpital Cochin, à Paris, elle est aussi l’autrice de Et si nous aimions nos ados ? (Bayard, 2017). Elle constate que les dispositifs innovants, très en vogue dans les années 2000, où la souffrance psychique des jeunes était pourtant moindre, ont aujourd’hui tendance à diminuer. (...)
« Pour accueillir correctement des ados il faut un accueil sans rendez-vous, on ne peut pas décemment leur dire "revenez dans un mois" ou attendre qu’ils soient totalement déscolarisés… En enlevant cette porte d’entrée là, on fait disparaître ce qui maintient le lien », pointe la professeure.
Il faut venir travailler la seule chose qui fonctionne, à savoir le lien, et sur la durée, insiste la praticienne : accepter qu’un·e adolescent·e saute des rendez-vous, ou arrive avec trois heures de retard ; accepter le temps long de la prise en charge, avec toute la complexité que cela implique. (...)
Pour la psychologue et docteure en psychopathologie Hélène Romano, la société a trop longtemps négligé la santé mentale des enfants, alors même que la pédiatrie et la pédopsychiatrie commençaient à constater dans les années 2000 des troubles et symptômes sévères chez les enfants de 7-8 ans. (...)
(...) Pour le psychiatre Thibault Desrues, les causes des souffrances psy des ados sont multifactorielles, et surtout à ne pas décorréler des bouleversements de la société. « On ne peut pas opposer souffrance d’une société et souffrance individuelle. La psychiatrie est le reflet de cette société », défend-il. « En France, les adultes ont une vision très négative de la jeunesse et de son avenir, juge Marie Rose Moro. C’est une société peu généreuse avec eux, qui oublie que les angoisses générationnelles ont toujours existé. »
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« On n’a pas seulement besoin de nous, les psychiatres, non, il faut des éducateurs, des infirmiers, des enseignants... dit-elle aussi. Il faut passer par des médiations, c’est essentiel, insiste-t-elle. (...)