
Dans le nord de la Colombie, La Guajira est le théâtre d’une lutte contre l’érosion et pour la survie face au changement climatique depuis deux décennies. Chaque vague emporte un peu plus l’avenir de ses habitants.
(...) L’érosion côtière emporte avec elle les traditions et le futur des populations locales, sous le regard indifférent des autorités. « La mer a déjà englouti notre cimetière, des maisons et des bateaux de pêche », s’alarme Clarena Fonseca, leader de la communauté indigène Wayuu Twuliá. Celle-ci, qui vit dans un lieu-dit appelé Cachaca III — à deux kilomètres de Riohacha, le chef-lieu du département — observe avec angoisse les vagues avancer et ses terres s’effacer. (...)
C’est un triste spectacle, une lente agonie, à laquelle cette communauté assiste, impuissante. Malgré leurs efforts pour attirer l’attention sur cette crise, les réponses des autorités ont été marquées par le déni et l’inaction. « Les Wayuu existent seulement quand les politiques ont besoin de votes », dénonce le père de Clarena Fonseca. Personne n’a souhaité les aider, excepté le biologiste espagnol Carlos Bueson : « C’est un problème mondial, ça m’a paru urgent », dit-il à Reporterre.
Le ministère de l’Environnement colombien estime que 30 % du littoral caribéen est en « risque critique » et que « d’ici à 2040, le pays pourrait perdre 12 630 hectares de terres », à cause de l’érosion côtière. La Guajira est particulièrement concernée. Selon Carlos Bueson, la communauté a perdu douze mètres rien qu’en 2024. (...)
l’université de La Guajira a refusé la proposition du scientifique de faire de La Cachaca III un cas pilote pour chercher des alternatives d’atténuation face à l’urgence climatique.
« La mer va plus vite que les processus administratifs »
Les effets du changement climatique, tels que l’augmentation du niveau de la mer et l’intensification des tempêtes, ont aggravé l’érosion. Ainsi que les activités humaines, comme l’urbanisation des côtes. (...)
Dans la communauté Twuliá, toutes les habitations ont dû être déplacées d’environ un kilomètre et les foyers ont été privés de leur principal moyen de subsistance, la pêche. Sept familles, sur la quarantaine que comptait la zone, sont parties. (...)
« Ils ne veulent pas “gaspiller” de l’argent pour des indigènes » (...)
Avec la construction de digues à Riohacha, les intérêts des populations urbaines, plus influentes et où les indigènes sont peu représentés, ont été privilégiés, au détriment des autres. (...)
Les Wayuu, plus grand groupe indigène de Colombie avec environ 500 000 membres, vivent en effet déjà dans des conditions de grande pauvreté et ont toujours été marginalisés par le pouvoir central.
Un paradis touristique abîmé par la mer
Quelques kilomètres plus au sud, à Palomino, les vagues sur lesquelles les surfeurs réalisent leurs figures emportent également avec elles la côte. Les tentatives des locaux pour les freiner se révèlent vaines. (...)
Les photos en ligne vantent encore ses plages de carte postale : sable fin, blanc, palmiers inclinés. Mais la réalité est désormais tout autre. La côte est jonchée de lambeaux : des sacs de sable éventrés et des blocs de béton arrachés par les vagues, témoins d’une lutte déjà perdue contre la mer. (...)
La peur d’un retour en arrière
L’économie du territoire, basée à 85 % sur le tourisme, est en danger. (...)
En 2021, la plage a été déclarée en état de « catastrophe publique » par la mairie. Les habitants espéraient que ce statut allait accélérer les discussions et prises de décisions des autorités compétentes face au problème, par exemple avec des dédommagements ou la construction d’éperons tout le long de la côte. Trois ans plus tard, rien n’a changé. (...)
Avant de se consacrer à l’industrie du surf, le territoire a longtemps souffert du conflit armé colombien. « Le tourisme a généré une transformation sociale et, sans cette source de revenus, les gens vont se retourner vers des “solutions” faciles, vers le conflit et la violence dont on a tant souffert », s’inquiète Nerlis Vergara. La lutte dépasse celle des plages qui disparaissent. Elle porte aussi l’espoir fragile d’une paix que le ressac menace de balayer.