
L’effondrement du nombre de psychiatres conduit à des pratiques de privation de liberté en toute illégalité. Des patientes sarthoises racontent leur traumatisme. Les soignants alertent sur les risques de passage à l’acte chez les patients, d’abord contre eux-mêmes.
Le Mans (Sarthe).– Qu’il paraît loin le temps où les personnels hospitaliers descendaient dans la rue : c’était en 2018 et 2019, jusqu’en février 2020. L’espoir que quelque chose se passait, pour le service public, a été fauché net par l’épidémie de Covid-19.
Le 7 mars, au Mans, une petite centaine de soignantes et de soignants marchaient encore. Ce qu’ils et elles racontent est glaçant et leur détachement l’est sans doute plus encore. Parmi eux, beaucoup de psychiatres. Ils parlent de « distance émotionnelle ». En tête de cortège se trouve le chef de service des urgences du centre hospitalier, Lionel Imsaad. Dans ce département largement déserté par les médecins, les petits services d’urgence ferment peu à peu, certaines nuits, puis toutes les nuits. Son service est débordé. Lui aussi.
Mais ce qui pousse l’urgentiste à descendre dans la rue est plus grave encore, et l’autorise à parler sans détour, et sans ciller : « Dans mon service, nous privons de liberté des gens, jusqu’à trois semaines parfois. On a pu en attacher certains une semaine entière. Nous n’avons pas le droit de faire de ce que nous faisons. » (...)
En moyenne, aux urgences, dix à vingt patient·es en crise psychiatrique aiguë, suicidaire ou psychotique, attendent d’être hospitalisé·es, dans les meilleurs délais, dans l’établissement public de santé mentale (EPSM) d’Allonnes, situé dans la banlieue du Mans. Mais faute de lits, ces malades restent aux urgences, des jours, des semaines parfois, dans une « salle de transit », une pièce sans fenêtre, avec neuf lits et cinq fauteuils, autour d’un poste de soins.
Certains malades, installés sur des fauteuils, s’allongent parfois au sol pour dormir, témoignent plusieurs soignant·es. Quand la salle déborde, les malades en crise sont sur des brancards dans les couloirs. Plusieurs sont attachés. (...)
Cette pénurie de médecins psychiatres pousse les urgentistes de l’hôpital du Mans dans l’illégalité : « Aujourd’hui, des contentions sont pratiquées, bien trop longtemps, dans un vide juridique », prévient Alexandre Morand, directeur général adjoint du centre hospitalier du Mans.
En dehors de tout cadre légal (...)
Si des contentions sont pratiquées aux urgences, elles ne peuvent qu’être de courte durée : soit les malades sortent de leur état de crise et sont détachés rapidement, soit ils sont transférés en psychiatrie. Là, en cas de contention au-delà de 24 heures, le JLD doit être informé, et se prononcer sur le maintien ou la mainlevée de la mesure à partir de 36 heures. (...)
Gabrièle Mugnier, responsable du pôle de psychiatrie d’urgence du centre hospitalier du Mans, qui tente d’encadrer tant bien que mal ces pratiques de contention aux urgences, ne « remet jamais en cause le vécu d’un patient ». Et elle souscrit pleinement à ces paroles de patientes : « Une contention, c’est toujours un échec du dialogue, de la relation. C’est une violence, ce n’est pas du soin. » (...)