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Reporterre/Martin Julier-Costes, socio-anthropologue, spécialiste de la mort et des rites funéraires
Compost humain : « Nous avons peur d’être mangés par des petits vers »
#ecologie #deces #humusation #terramation
Article mis en ligne le 1er décembre 2024
dernière modification le 28 novembre 2024

Terramation, aquamation... Il est possible de faire des funérailles non polluantes. En France, des freins culturels et économiques persistent pourtant, analyse Martin Julier-Costes, spécialiste de ces questions. (...)

Reporterre — Plusieurs techniques funéraires existent pour que nos cadavres polluent le moins possible : la terramation (qui consiste à laisser des microbes décomposer les corps en humus), l’aquamation (qui permet de les dissoudre dans une solution aqueuse)… Pourquoi ne sont-elles pour le moment pas autorisées en France ?

Martin Julier-Costes — Ces techniques sont très récentes, et il existe très peu d’études scientifiques vraiment robustes sur les impacts écologiques de l’inhumation et de la crémation (pollution des sols, de l’air, etc.). Plus largement, elles se heurtent notamment au fait que nous avons, dans notre culture chrétienne, une forte tradition d’inhumation et que depuis plus d’un siècle, la crémation connaît une augmentation croissante en Occident.

En France, ces deux modes de sépulture nécessitent obligatoirement un cercueil, alors que la terramation et l’aquamation non, et le modèle économique des pompes funèbres s’est justement construit sur ce produit. Beaucoup de pays font différemment et, il n’y a encore pas si longtemps, on enterrait nos corps à même la terre, avec ou sans linceul. (...)

Ce qui est valorisé dans la terramation, c’est l’idée de la mort régénératrice, de revenir à la terre et de participer au cycle naturel en étant utile aux sols, à la terre, aux plantes. C’est en décalage complet avec l’inhumation et la crémation telles qu’on les conçoit aujourd’hui.

Des auteurs comme Philippe Descola ou Bruno Latour ont montré que nous nous voyons, d’une certaine manière, comme distincts de la nature. Nous continuons de poursuivre, au moment du trépas, cette séparation du « cycle naturel » des choses. Cela passe par des procédés techniques comme la thanatopraxie — qui consiste notamment à drainer le sang et ajouter une solution à base de formol —, la construction de cercueils en chêne très hermétiques, l’installation de capitons en soie… Résultat, beaucoup de corps sont trop bien conservés quand on les exhume, ce qui peut poser un problème de place pour les collectivités. (...)

Il y a aussi la question des collectivités, qui gèrent les cimetières. On retrouve, là encore, une opposition entre le propre et le sale. En France, les cimetières sont très minéralisés et, pour beaucoup d’entre nous, la pierre renvoie à la propreté et le végétal plutôt à la saleté, représentations qui sont ici reliées au respect dû aux morts. Ces considérations nécessiteraient de faire changer ces représentations. (...)

Et puis, quand vous êtes confronté à un décès, vous avez 15 000 choses à gérer. Ce n’est pas à ce moment-là que vous allez commencer à militer pour un troisième mode de sépulture qui n’est pas légal. Vous faites avec l’existant, c’est-à-dire avec l’inhumation ou la crémation. Il faut aussi bien penser que la majeure partie des défunts aujourd’hui sont des personnes âgées, avec un rapport à la « nature » et l’écologie différent de celui que l’on entend aujourd’hui. (...)

En janvier dernier, la députée MoDem Élodie Jacquier-Laforge a déposé une proposition de loi pour expérimenter l’humusation, en disant qu’il fallait proposer une troisième voie aux Français. Mais tout est encore à faire pour définir le quoi, le comment, et la mise en application concrète. Par exemple, rendre possible le fait de pouvoir enterrer quelqu’un avec un linceul semble déjà une montagne. (...)

Valoriser la mort régénératrice, cela va avec une vision du monde, selon laquelle il faudrait reconnaître que nous faisons partie du reste du vivant, et que nous y retournions. Qu’il faut, aussi, réparer et nourrir la terre, et chercher à être cohérent dans sa vie comme dans sa mort. (...)

L’écueil, comme pour toute chose développée pour notre société, c’est la récupération par le système néolibéral et capitaliste. Un peu comme avec le yoga. Le yoga, c’est super. Ça recouvre plein de valeurs géniales. Mais il peut tout à fait être récupéré à des fins de performance. Et la mort est aujourd’hui considérée en Europe comme un marché. (...)

Promouvoir la terramation va de pair avec l’intention de lutter contre une vision trop marchande de la mort. Mais la terramation, comme l’aquamation (légale par exemple au Canada), s’intègrent dans un monde libéral et capitaliste. Elles y représentent une nouvelle offre. Toutes les nouvelles idées peuvent, potentiellement, être réutilisées pour alimenter le système. C’est la force du capitalisme.

La terramation « hors-sol » pratiquée par l’entreprise Recompose aux États-Unis, par exemple, c’est de l’artificiel intégré dans un système très capitaliste et libéral. Vous payez, et votre corps est composté dans une usine. (...)

Toute la question est de savoir comment proposer des pratiques funéraires plus sensées d’un point de vue écologique, sans qu’elles se fassent prendre dans les mailles de ce filet. À ce sujet d’ailleurs, un collectif français a vu le jour il y a peu de temps et milite pour une Sécurité sociale de la mort. (...)

Lire aussi :

 (Dialogue citoyen)
Lancement du Conseil nantais du funéraire

Afin de poursuivre la réflexion du groupe citoyen réuni en 2023 autour de la question des obsèques civiles, la Ville de Nantes a mis en place, jeudi 12 septembre, un Conseil nantais du funéraire (CNF). Composée d’associations, de représentants des cultes et d’administrations et de professionnels des obsèques, cette instance de gouvernance ouverte a pour but d’améliorer le service public sur les sujets de la mort et du deuil.

Comment mieux accompagner les personnes endeuillées et les nouvelles pratiques funéraires, dans un contexte de baisse progressive du nombre de cérémonies religieuses  ? C’est la réflexion menée au printemps 2023 par un groupe citoyen dans le cadre de la démarche de dialogue « Les obsèques civiles : parlons-en  ! » lancée par la Ville de Nantes et Nantes Métropole rejointes par la Ville de Rezé. À l’heure où les mœurs et croyances évoluent, de plus en plus de familles et proches font le choix de vivre un dernier au revoir sans référence religieuse en organisant des obsèques civiles. Également, de nouvelles pratiques (funérailles écologiques, volonté pour les familles d’organiser une cérémonie personnalisée pour le défunt ou la défunte …) viennent réinterroger notre rapport à la mort, et ce faisant la place de la collectivité. Sur les 40 propositions formulées par les citoyennes et citoyens, 36 ont été retenues et fait l’objet d’engagements concrets par les élus. (...)

Animer un dialogue permanent entre les acteurs

Le Conseil nantais du funéraire a pour missions de produire des avis, de l’expertise, des préconisations, de faire du repérage d’initiatives et de la prospective ainsi que d’animer un dialogue permanent entre les acteurs autour de la thématique du funéraire. Il traitera d’enjeux et sujets identifiés dans l’avis citoyen « Les obsèques civiles : parlons-en  ! » mais aussi de ceux qui seront proposés au fil de l’eau par ses membres. « La question écologique dans les cimetières me semble prioritaire, explique Elhadi Azzi. Les 15 cimetières nantais englobent 52 hectares, soit près de 1 % de la superficie de la ville. Il est important de ne pas oublier ces lieux, de questionner les changements de pratiques et les usages ». Parmi les autres sujets déjà identifiés : l’organisation des obsèques, les gestes commémoratifs individuels et collectifs pour les défunts, les innovations dans les techniques funéraires. (...)

Lire aussi :
 
L’HUMUSATION
pour réintégrer les dépouilles humaines, naturellement, dans le cycle du Vivant !

Dans une butte de +/- 3 m³ d’un mélange de végétaux fraîchement broyés (principalement du bois d’élagage) érigée sur le sol, l‘Humusation est un processus contrôlé (par des humusateurs dûment qualifiés) de métamorphose des chairs des dépouilles mortelles des humains, par leur propre microflore, lors de la première phase de +/- 4 mois.

Et dans la seconde phase, par les humuseurs, les micro-organismes, qui sont présents uniquement dans les premiers cm du sol. Après que les humusateurs aient passer tout le squelette et les éventuels amas graisseux dans un équipement bien adapté (pour les émietter afin de réduire et d’égaliser leur temps de décomposition) ,

Pour transformer, en maximum 12 mois, toutes les cellules des dépouilles mortelles en Humus sain et fertile. (...)

PRINCIPE
de l’HUMUSATION

C’est un processus vraiment innovant pour réintégrer, naturellement, le corps des humains décédés dans le cycle du vivant ! (...)

l’humusation est la solution pour permettre à nos corps, en fin de vie, de suivre le cycle complet de transformation en douceu (...)

 Ecouter le podcast de France Inter (36’)
Quelles sont les attentes des Français en matière d’obsèques ?

Longtemps tabou, la mort se vit moins à travers des rites collectifs qu’individuellement aujourd’hui, même si notre société continue à imposer des cadres.

L’augmentation des contrats funéraires ces dernières années témoigne du fait que les Français sont de plus en plus nombreux à anticiper le moment de leur mort, et le prévoient, tant pour soulager leurs proches, que pour s’assurer aussi que leurs dernières volontés seront respectées.

Si la majorité des Français continuent à être inhumés, ils sont de plus en plus nombreux à choisir la crémation, signe d’un recul du religieux, détachement des racines, et prise en compte d’enjeux économiques et écologiques qui viennent là aussi modifier nos habitudes. Au point d’envisager peut-être prochainement de nouvelles pratiques comme l’humusation (laisser des microbes décomposer les corps en humus), ou l’aquamation (qui permet de dissoudre les corps dans une solution aqueuse) ? (...)