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France TV Info
Comment les opposants azerbaïdjanais sont traqués jusqu’en France par les autorités de Bakou
#azerbaidjan #repression
Article mis en ligne le 30 janvier 2025
dernière modification le 27 janvier 2025

Réfugiés en France et en Europe pour échapper à la répression du pouvoir azerbaïdjanais, plusieurs opposants au régime de Bakou continuent pourtant d’être menacés, parfois même tués.

Quand il décroche son appel WhatsApp, le 29 septembre 2024, à 6h30 du matin, Ogtay Isgandarli comprend tout de suite qu’il se passe quelque chose de grave. Au bout du fil, son frère Vidadi Isgandarli a encore la force de lui raconter ce qui vient de se passer : plusieurs individus masqués sont passés par la fenêtre de son domicile à Mulhouse, et l’ont lardé de 16 coups de couteaux, avant de prendre la fuite.

"Mon frère Vidadi leur a proposé de prendre son argent, mais ils n’étaient pas là pour ça, ils étaient venus pour le tuer", témoigne Ogtay Isgandarli. Deux jours plus tard, son frère Vidadi meurt des suites de ses blessures. Il avait 62 ans. Cet ancien procureur en Azerbaïdjan était devenu un opposant déterminé au régime de Bakou. (...)

Quelques jours après la mort de Vidadi Isgandarli, un message de menace est envoyé à l’un de ses amis dissidents, le bloggeur réfugié en Suisse Elshad Mammedov : "On a tué ton ami Vidadi, on va te tuer. On connaît ton adresse à Bâle, on te suit. On va te poignarder 50 fois chez toi (...). On va te frapper là où tu dors, dans ton lit. C’est notre dernier avertissement. Excuse-toi et passe du côté du gouvernement. Bientôt on va te poignarder [et] te couper la tête." (...)

Une menace sous-estimée ?

Quelques jours avant l’assassinat de cet ancien magistrat azerbaïdjanais à Mulhouse, une alerte avait pourtant été lancée par l’intermédiaire d’un journaliste opposant au régime, réfugié lui à Strasbourg. Il s’appelle Ganimat Zahid(Nouvelle fenêtre). Avant de quitter l’Azerbaïdjan, il travaillait au journal Azadliq (Liberté) qui a été censuré. Depuis 2011, il anime depuis la France Turan TV, une chaîne sur YouTube. "Une source à Bakou a risqué sa vie et partagé des informations sensibles avec moi", nous explique Ganimat Zahid. En l’occurrence, selon le journaliste, il s’agit d’une liste de cinq personnes que le pouvoir azerbaïdjanais souhaiterait éliminer. Une liste dans laquelle se trouve le propre nom de Ganimat Zahid, mais aussi celui de l’ancien procureur Vidadi Isgandarli qui sera poignardé à mort, à Mulhouse, 13 jours plus tard.

Le 16 septembre 2024, Ganimat Zahid contacte l’organisation Reporters sans frontières, dont il est membre. (...)

La menace a bien été prise en compte puisque trois jours après avoir contacté RSF, deux agents du renseignement rencontrent le journaliste Ganimat Zahid à Strasbourg. Mais le risque a peut-être été sous-évalué, estime la journaliste Alice Pontallier qui a enquêté sur le sujet pour Intelligence Online(Nouvelle fenêtre) : "Les services de renseignement français ne s’attendait pas un tel pro-activisme de Bakou, dit-elle. Il y a eu un effet de surprise. Ils s’attendaient à ce genre de démarches de la part de la Russie, mais pas de l’Azerbaïdjan". La journaliste a pu établir que les services secrets azerbaïdjanais avaient mis en place "un système de répression des voix dissidentes en exil, réfugiées en Europe". (...)

Interpellés avec un pistolet et des couteaux

Ce n’est pas la première fois que des attaques physiques contre des opposants azerbaïdjanais se sont produites sur le sol français. (...)

en Allemagne, en Pologne ou en Hongrie. En octobre 2024, dix personnes sont finalement renvoyées devant la Cour d’assises de Rennes(Nouvelle fenêtre) (Ille-et-Vilaine). La date du procès n’a pas encore été fixée. (...)

Parmi ces dix personnes renvoyées devant la justice française, on trouve au moins trois membres des Vory v Zakone, ce qui en russe signifie "voleur dans la loi". Il s’agit d’un groupe criminel originaire des pays du Caucase, avec ses codes et une manière bien particulière de s’afficher par le tatouage, avec des étoiles sur le poitrail, des bracelets sur les biceps et même un N renvoyant à Napoléon.

En lien avec des oligarques ou de grands groupes gaziers ou pétroliers, ces mafias tiennent, par exemple, le grand marché russe de Food City, le "Rungis de Moscou", où l’un des hommes renvoyés devant la justice française tenait une boutique d’électronique. (...)

Les Vory v Zakone sont désormais également implantés sur le territoire français, notamment dans le trafic de cigarettes. En juillet 2023, la police française a procédé à plusieurs vagues d’arrestations, en lien avec leurs homologues espagnols.

Un présumé espion repenti sort du silence (...)

Un risque d’être renvoyé en Russie

Mais la France a refusé de lui accorder l’asile politique. Et depuis, il est emprisonné au centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne). "Ce n’est pas un alcoolique qui aurait fait des confessions parce qu’on lui aurait filé trois bouteilles de vodka, s’emporte son avocat français Gilles Piquois. Il a des traces écrites de toutes les informations qu’il a données. C’est un homme qui a refusé de tenir le rôle d’organisateur qu’on a voulu lui donner et qui est aujourd’hui habité par la volonté d’être cru et de pouvoir témoigner de ce système".

Le journaliste lituanien Aivaras Balciunas, assez sceptique au départ, le considère également comme un lanceur d’alerte "plutôt crédible". (...)

Le 22 janvier 2025, une douzième audience s’est tenue devant la Cour d’appel de Paris pour statuer sur le sort de cet étrange espion. La décision a une nouvelle fois été renvoyée au 5 février prochain. "Si jamais il devait être renvoyé en Russie, les conséquences seraient dramatiques pour lui, souligne la journaliste Alice Pontallier. Il serait considéré par l’Azerbaïdjan [proche de la Russie] comme celui qui a trahi, qui a parlé à de nombreux journalistes et à la police judiciaire en France".

Contactée par la cellule investigation de Radio France, l’ambassade d’Azerbaïdjan à Paris n’a pas donné suite.