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Chute des dons et des subventions : les associations écologistes n’ont plus d’argent
#ecologie
Article mis en ligne le 13 décembre 2024
dernière modification le 9 décembre 2024

Les donateurs se font rares, comme les financements publics : l’austérité est de mise pour les associations écologistes. Des pistes stratégiques s’esquissent pour pallier cette crise budgétaire et dépasser la « déprime militante ».

Le mouvement écologiste continue à affronter des vents contraires. Et ce mois de décembre pourrait être un moment charnière. De nombreuses associations engagées en faveur du climat et de la biodiversité sont actuellement confrontées à une baisse de financement brutale qui précarise leur activité. À la clé : de possibles licenciements, des missions abandonnées.

L’inquiétude grandit au sein du petit monde des chargés de collecte. « On a peu de lisibilité sur ce qui nous arrive », dit Charlotte Béal, de Zero Waste France, alors que le montant de ses dons a baissé de 9 % cette année. « La situation est très préoccupante », ajoute Anne Bringault, la directrice du Réseau Action Climat.

À l’instabilité politique qui gèle nombre de subventions publiques s’ajoute la crise économique et l’inflation qui grèvent les dons des particuliers. Dans ce contexte morose, l’écologie semble être la dernière roue du carrosse. Alors même qu’elle est marginalisée dans le débat public et prise à partie par les forces réactionnaires. (...)

« On a déjà acté qu’on allait finir l’année en déficit »

Le 12 novembre dernier, Greenpeace a envoyé un courriel, en forme de cri d’alarme, à ses donatrices et donateurs. « Nous faisons face à une baisse du nombre de nos soutiens et nos ressources collectées ne sont plus à la hauteur de nos besoins », écrit l’ONG. Quelques jours plus tard, c’était au tour des Amis de la Terre d’alerte leurs donatrices et donateurs : « Les financements publics étant réduits à peau de chagrin, notre budget est actuellement déséquilibré, et cela menace la pérennité de nos activités ».

Chez Greenpeace, 20 000 donateurs n’ont pas renouvelé leur don en 2024, soit une hausse de 10 % par rapport à 2023. La grande majorité pour des raisons économiques. (...)

Plus d’actions, moins d’argent

Chez Les Amis de la Terre, on se fait également du souci. « Nous avons besoin de 170 000 euros d’ici la fin du mois pour boucler notre budget et pour qu’il reste à la hauteur de celui de l’année dernière, détaille Hugo Emo. On a déjà acté qu’on allait finir l’année en déficit, autour de 10 000 euros, ce n’est pas catastrophique mais ce n’est jamais bon. Indéniablement, c’est une source de stress. »

L’association est prise en étau. (...)

Une « dégringolade collective »

« On a mis en place un budget participatif, une forme d’autogouvernance avec les salariés pour gérer cette situation avec de l’intelligence collective, voir les priorités à faire et là où on pourrait rogner les budgets. Mais clairement, au sein du milieu écolo, on assiste à une dégringolade collective qui nécessite un sursaut », juge Joël Domenjoud.

La collecte auprès des particuliers n’est pas le seul problème. Les associations qui misent sur les fondations et le mécénat d’entreprises sont aussi en difficulté (...)

Négawatt.
L’organisation se finance par des subventions, principalement de l’Ademe (l’agence de la transition écologique), ainsi que par les adhésions, les dons de particuliers, le mécénat, et les partenariats d’entreprises. Ces deux dernières sources se sont taries. En 2023, le mécénat d’entreprise, principalement du secteur des énergies renouvelables, était déjà en baisse de 21 % par rapport à l’année précédente. (...)

Des baisses de financements des Régions

Du côté des associations qui reposent sur des subventions publiques, ce n’est guère mieux. Le Réseau Action Climat est actuellement suspendu à l’attente d’une subvention de l’Ademe qui risque de voir son budget amoindri, à cause du contexte global d’austérité. Ces dernières semaines, France Nature Environnement n’a cessé de recevoir des mauvaises nouvelles : la région Nouvelle-Aquitaine a décidé de diminuer ses subventions auprès des associations — et donc de FNE — de 50 %, la région Hauts-de-France de 30 %.

« Beaucoup d’acteurs publics ne nous donnent que 60 ou 70 % de l’enveloppe de la subvention attendue et nous disent que l’on verra pour la suite l’année prochaine. On est incapable de dire aujourd’hui si on boucle notre budget. On est dans un flou colossal », témoigne le président de FNE Antoine Gatet. Quand il a tenté d’interpeller Agnès Pannier-Runacher, l’ex-ministre de la Transition écologique lui a sèchement répondu, « chacun ses problèmes ».

« On est entré en mode survie » (...)

Une crise politique autant que budgétaire

Vu la teneur des récents débats parlementaires, l’avenir paraît sombre. Au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2025 — avant la chute du gouvernement de Michel Barnier — le RN et la droite ont mené une offensive majeure contre le milieu écolo en proposant de « suspendre les réductions d’impôts dont peuvent bénéficier les donateurs de ces associations », jugées « extrémistes ». Si ces amendements étaient maintenus dans une nouvelle mouture du texte, ce serait un coup fatal pour les organisations militantes.

Car la crise est, au fond, politique. (...)

« Les difficultés financières que nous traversons sont indissociables de la question stratégique, estime Nicolas Haeringer de 350.org. Face à la multiplication des effets du réchauffement climatique et à la montée de l’extrême droite, le mouvement écolo erre. On ne sait pas quoi faire dans ce marasme. On ne trouve pas la manière d’embrayer et d’opérer la bascule. Le climatoscepticisme regagne du terrain. C’est un substrat qui nous enlève de la force et les gens s’interrogent. Pourquoi nous donneraient-ils du pognon si on perd ? »

Un cercle vicieux se dessine, que retrace très bien Jan, militant à Action Justice Climat. « Vu le contexte ultrarépressif, il est de plus en plus difficile d’organiser des mobilisations. On perd peu à peu en visibilité et on obtient logiquement moins de dons, ce qui nous fragilise ensuite pour mener des campagnes d’action. La boucle est bouclée. »
Changer de stratégie

« Il faut impérativement sortir de ce moment de déprime militante », dit Joël Domenjoud. Plusieurs pistes stratégiques s’esquissent, au gré des discussions, pour reconquérir les esprits et retrouver de la marge de manœuvre. Face à l’adversité, le mouvement écologiste devrait se positionner plus clairement en contre-pouvoir et assumer la conflictualité avec les autorités, plaident de nombreux militants. Tout en renforçant la solidarité en son sein, pour ne plus être en concurrence les uns avec les autres. (...)

Au cours de ce mois décisif de décembre, certaines initiatives donnent de l’espoir. La dernière campagne de France Nature Environnement centrée sur « les justicier.e.s de la Terre » fonctionne bien. « On a arraché plusieurs victoires juridiques ces dernières semaines contre la mine d’or en Guyane ou la pêche dans le golfe de Gascogne, raconte Antoine Gatet, et on attend des décisions de justices importantes contre la mégabassine de Sainte-Soline ou l’A69. On voit que cela paie. Les gens nous soutiennent et nous attendent sur ce terrain. Le réseau juridique est notre bras armé pour défendre l’État de droit. »

Le grand retour des luttes locales — dont Reporterre vous contait les succès lors de sa dernière rencontre — est aussi inspirant. Loin de la déprime ambiante, ces luttes de territoire ont su être conquérantes. En dix ans, elles ont mis à terre plus de 164 projets nuisibles pour l’environnement. Avec des budgets ridicules — 4 000 euros en moyenne par an — elles ont su terrasser des projets d’infrastructures 10 000 fois plus coûteux et sauver du béton des dizaines de milliers d’hectares. Et elles peuvent désormais compter en partie sur l’association Terres de luttes, qui a lancé un fonds de dotation tout spécialement pour les financer.