
Toutes les deux semaines, une chronique rédigée par le collectif internationaliste franco-syrien Interstices-Fajawat, afin de mieux comprendre la situation complexe, mouvante et passionnante en Syrie suite à la chute de la dictature. Voici le septième épisode, ce 21 février 2025.
Une transition à durée indéterminée
Le gouvernement de transition a formé un comité préparatoire pour organiser une « Conférence Nationale du Dialogue », constitué de 7 personnes, dont 2 femmes. On ne connaît toujours pas la date de cette conférence que tout le monde attend et appelle de ses vœux. Chacun espère y voir une parfaite représentation de la société syrienne, alors qu’aucune information sur sa composition n’a été évoquée, si ce n’est que l’Administration Autonome du Nord-Est Syrien n’y sera pas conviée. (...)
Une justice transitionnelle aux contours flous
Au cours de ce mois de février, le massacre commis à Tadamon en avril 2013 a refait surface. Tadamon est un quartier de Damas où près de 500 civils, dont un certain nombre de Palestiniens, avaient été froidement poussés les yeux bandés dans une fosse avant d’être exécutés par balle, le tout filmé par les auteurs du crime.
Le 8 février, une visite controversée sur les lieux du crime de trois commanditaires du massacre – amnistiés en échange de leur collaboration – en compagnie de deux responsables de la Sécurité Générale a provoqué une manifestation de plusieurs centaines de résidents du quartier, révoltés par la présence de leurs bourreaux. Puis, 10 jours plus tard, trois exécutants ont été arrêtés. Le sort du principal auteur des exécutions, qui avait reconnu les faits à une journaliste, reste inconnu.
Par ailleurs l’ambassade de Palestine à Damas, qui a longtemps été critiquée pour sa complicité avec le régime d’Assad, vient de rendre publique une liste de 1.794 noms de Palestiniens de Syrie, de Gaza, de Jordanie et du Liban qui ont disparus sous la dictature. Le but de cette publication serait d’aider les nouvelles autorités à recueillir des informations sur leur sort, sans qu’on sache comment l’ambassade a obtenu ces noms.
La question des prisonniers et combattants étrangers, révélatrice des enjeux de la guerre de proxy
L’Algérie est entrée dans la danse des négociations diplomatiques avec Al Sharaa, après avoir été réticente à féliciter le nouvel homme fort de Damas pour sa nomination. (...)
Du côté du Liban, ce sont plusieurs centaines de prisonniers Syriens qui font l’objet de tractations entre les deux pays. (...)
Enfin, et c’est là un enjeu majeur pour la situation sécuritaire de la Syrie et de son voisin Irakien, des milliers de combattants de l’État islamique et leurs familles détenus dans les camps de Al-Hol et Al-Roj sont en train d’être rapatriés au compte-goutte vers l’Irak, dont ils sont originaires. Ils s’ajoutent aux milliers de combattants chiites Afghans et Pakistanais des milices pro-iraniennes Fatemiyoun et Zaynabiyoun qui, libres, se sont réfugiés en Irak depuis la chute du régime, et dont la présence sur place pourrait devenir la justification de nouvelles violences ou frappes aériennes étrangères sur le territoire irakien.
Les Kurdes sous pression de toutes parts
Alors que le contrôle et la résorption des camps de prisonniers dans l’Est Syrien reste à la charge unique des milices kurdes, cette question est au cœur d’intenses négociations avec le nouveau régime de Damas depuis deux mois. Le risque de déflagration sous la forme de révoltes ou d’évasions massives des prisonniers de l’État Islamique est imminent, notamment après que Trump ait stupidement suspendu toute l’aide humanitaire américaine (460 millions de dollars en 2024).
Cette semaine les deux parties se sont rapprochées d’un accord pour l’intégration à la Nouvelle Armée Syrienne des combattants des Forces Démocratiques Syriennes (SDF) et des Unités de Protection du Peuple (YPG), ainsi que pour la sortie du territoire de leurs combattants étrangers. Rien n’est clair par ailleurs concernant le sort des Unités de Protection des Femmes (YPJ), ainsi que du projet démocratique et féministe du Rojava à l’issue de ces accords, qui semblent induire un renoncement contraint au fédéralisme, à l’autonomie et à l’auto-défense populaire face à l’impérialisme turc, au nationalisme et à l’islamisme conservateur. (...)
Et la colonie sioniste qui ne cesse de se répandre…
Chaque semaine Israël avance en territoire Syrien, cherchant visiblement à s’emparer de toutes les ressources en eau de la région (Mont Hermon, Bassin de Yarmouk, Réservoir de Al-Mantara). Sept nouveaux villages ont été occupés et l’armée d’occupation a installé six postes militaires supplémentaires.
En parallèle, l’aviation a bombardé l’aéroport militaire Syrien de Khalkhala et un dépôt de munitions au Sud de Damas, prétendument utilisé par le Hamas. (...)
C’est d’ailleurs dans la perspective d’une stratégie conjointe des Pays Arabes face à l’expansionnisme et au nettoyage ethnique mis en place par les États-Unis et Israël que doit se tenir une rencontre de la Ligue Arabe au Caire le 27 février prochain…