Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Chlordécone : l’État va devoir payer
#chlordecone #Antilles
Article mis en ligne le 12 mars 2025

Dans un arrêt rendu mardi 11 mars, la cour d’appel administrative de Paris condamne l’État à indemniser des victimes de l’insecticide utilisé aux Antilles jusqu’en 1993, et élargit la typologie des victimes concernées.

C’est une avancée considérable dans la reconnaissance du crime environnemental et sanitaire causé par l’utilisation du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe. Dans son délibéré rendu mardi 11 mars, la cour administrative d’appel de Paris a clairement établi la responsabilité de l’État pour l’exposition des populations antillaises à cet insecticide utilisé dans les bananeraies de 1970 à 1993, et présent dans les eaux et les sols depuis.

Il ne s’agit plus seulement de « négligences fautives », comme il avait été jugé en première instance, mais de « fautes caractérisées », dit la cour. Ces fautes, c’est, outre l’utilisation du produit en tant que tel, le retard des autorités à réagir pour évaluer la pollution sur les deux îles, y mettre fin, informer et protéger la population. Autrement dit, l’impact du chlordécone est pris en compte pendant et après son interdiction, en 1993, et la décision de la cour d’appel va plus loin que ce qui avait été jugé en première instance, en juin 2022. (...)

Surtout, la cour oblige l’État à indemniser les victimes, et ces victimes ne sont plus seulement les hommes atteints d’un cancer de la prostate – seule maladie professionnelle reconnue à ce jour pour quiconque a travaillé dans une bananeraie en Martinique ou en Guadeloupe. Désormais, les personnes parvenant à démontrer un « préjudice d’anxiété », qu’elles aient ou non travaillé dans une bananeraie, qu’elles aient été touchées avant ou après 1993, peuvent être indemnisées par l’État.

C’est en tout cas le sens de l’arrêt dont Mediapart a eu connaissance. « L’État doit réparer, lorsqu’il est démontré, le préjudice moral d’anxiété des personnes durablement exposées à cette pollution », dit la cour.

La reconnaissance de ce préjudice, qui « résulte de la conscience de courir un risque élevé de développer une pathologie grave, voire, lorsqu’il est démontré, un préjudice moral résultat des conséquences avérées de cette exposition », est une nouveauté dans l’histoire du chlordécone. Celui-ci peut concerner de nombreuses personnes vivant ou ayant vécu aux Antilles, et pas seulement la population ouvrière agricole des bananeraies.

Dans le cadre de cette procédure judiciaire à laquelle ont pris part plus de 1 300 requérant·es et trois associations, la victoire reste toutefois minime. Seules onze personnes ont obtenu une indemnisation, d’un montant de 5 000 à 10 000 euros. Et parmi elles, on ne compte que deux femmes, victimes de fausses couches répétées. (...)

Reste que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris ouvre la voie à de futures demandes d’indemnisation, et élargit considérablement le périmètre des victimes : dans l’histoire du scandale du chlordécone, c’est la première fois que des femmes sont reconnues victimes par la justice. (...)

Pour les autorités françaises, la décision de la cour d’appel administrative de Paris est accablante. « Il résulte de l’instruction que le retard de l’État dans la mise en place des contrôles tendant à la recherche […] de traces de chlordécone dans l’environnement et dans la chaîne alimentaire a nécessairement conduit à un retard d’au moins une décennie dans la délivrance à la population de la Guadeloupe et de la Martinique des informations pourtant indispensables pour se protéger d’une contamination par le chlordécone », peut-on lire dans l’arrêt.

Autrement dit, le désastre qui touche aujourd’hui 90 % du peuple antillais aurait pu être évité. En Martinique comme en Guadeloupe, le chlordécone coule toujours au robinet, et des quartiers entiers sont obligés, pour boire, de se procurer de l’eau minérale.