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le Café Pédagogique
Ce que le national-populisme fait à l’éducation : le témoignage de Katalin Törley, enseignante hongroise
#enseignement #extremedrtoie #Hongrie
Article mis en ligne le 24 juin 2024

Aujourd’hui, le Café pédagogique dédie toute sa Une au témoignage de Kata Törley, une des figures de la résistance à la dérive autoritaire qui a imprégné le système éducatif hongrois depuis le retour au pouvoir de Viktor Orban. Enseignante de français dans un lycée de Budapest et leader du mouvement Tanítanék (en français : « J’aimerais pouvoir enseigner »), elle fait partie des cinq enseignants contestataires qui ont été licenciées en septembre 2022 pour avoir résisté à la mise au pas de l’éducation voulue par Orban.

« La réforme graduelle du fonctionnement du service public, qui a été très mesurée dans le temps, a fait que les enseignants, ainsi que la population, n’ont pas ressenti tout de suite les effets et n’ont pas perçu toute l’ampleur de ce qui se passait », nous explique-t-elle. Labélisation des manuels, programmes idéologisés, centralisation des décisions, fin de l’autonomie pédagogique… sont le quotidien des enseignant·es hongrois. Une situation qui n’est pas sans rappeler le programme du Rassemblement National, parti d’extrême droite français qui pourrait prendre le pouvoir le 7 juillet prochain. Selon la militante, Viktor Orban sait très bien « manier l’inconscient collectif en jouant sur les peurs, sur le besoin de la population d’être défendue et protégée, en occupant tous les médias, ce qui lui permet d’atteindre très facilement toute la population. Ce qui est paradoxal, c’est que les personnes qui constituent la base électorale de Viktor Orban sont les plus grandes victimes du système Orban. Les gens dont la famille meurent, parce que le système de santé ne fonctionne plus, ceux dont les enfants n’ont plus de professeures, parce qu’il n’y a plus d’enseignants à la campagne, vont accepter tout cela pour être protégés contre des menaces qui n’existent pas dans la réalité mais auxquelles ils croient ».

Un témoignage à lire absolument pour comprendre ce qui risque d’advenir de l’École française.

(...)

"Tanítanék cherche à mettre en lumière les conséquences néfastes des orientations nationales pour les élèves, de la maternelle jusqu’au baccalauréat. Le mouvement existe depuis huit ans et ces deux dernières années, nous avons élargi notre sphère. Nous avons un réseau composé d’une centaine de milliers de personnes qui nous suivent au travers de nos lettres d’informations. Ce ne sont pas uniquement des enseignants mais aussi des parents et des gens qui sympathisent avec notre mouvement.

La Hongrie est une démocratie toute fraiche avec des antécédents qui n’ont pas permis de développer les cultures de protestation, de grève ou de solidarité. Même à l’intérieur de cette démocratie récente de 30 ans, nous connaissons maintenant depuis 13 ans déjà, une nouvelle forme d’autoritarisme et de populisme qui évidement ne permet pas aux citoyens de s’organiser ou d’apprendre cette culture. C’est dans ce contexte que nous devons essayer d’agir. Cela veut dire que quand on parle des problèmes de l’éducation nationale, ou de l’éducation tout court, on est tout de suite confronté à des questions de dignité humaine, de dignité professionnelle, de droits de l’homme, etc. C’est quelque chose d’assez complexe en Hongrie. Il est extrêmement difficile de rester dans le cadre uniquement professionnel. Nous sommes dans un questionnement du système. Nous sommes dans une lutte pour un système démocratique et, quand on parle de l’éducation nationale, de l’intérêt des élèves, quand on parle de l’égalité des chances, on doit tout de suite évoquer d’autres aspects de ce déficit démocratique dont notre pays souffre. Notre mouvement est axé sur l’enseignement mais il s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large, philosophiquement." (...)

Et avant 2010, comment fonctionnait le système éducatif hongrois ?

Avant le retour de Viktor Orban en 2010, il existait déjà une mise en concurrence des établissements qui était très problématique. Beaucoup de problèmes ont leur source dans l’extrême libéralisation du système éducatif hongrois. (...)

Le mouvement de désobéissance civile des enseignants, qui consiste à faire grève sous forme de cessation du travail alors que cette forme n’est plus possible, a réussi à montrer aux citoyens que, au-delà des problèmes qui existent dans l’éducation, nous souhaitons remettre en question les règles du jeu imposées par le gouvernement. Nous n’acceptons plus le pouvoir abusif. La réponse du gouvernement a été une loi de vengeance, qui du jour au lendemain, a retiré aux enseignants leur statut de fonctionnaire. Beaucoup de professeures ont démissionné. D’autres sont restées mais avec le remord de n’avoir rien pu faire face à la situation actuelle. Le corps des enseignants est à l’image de la société hongroise. Il a sombré dans une sorte d’apathie et d’attente.

Les attentes des enseignants sont multiples : attente des faveurs que le grand chef daignera finalement leur accorder, attente de la réalisation de la promesse d’augmentation des salaires, attente de la retraite, attente de jours meilleurs. Cette posture d’attente est le reflet d’une forme de paralysie du corps des enseignants qui travaille dans des conditions indignes. (...)

je comprends tout à fait les jeunes qui ne se dirigent pas vers notre profession, car nous n’avons même pas le respect minimal qui est dû à notre travail.

Quels conseils face aux réformes gouvernementales d’inspiration populistes ?

Je pense qu’il faut commencer le plus tôt possible l’opposition aux réformes qui entérinent le démantèlement du service public, sous une forme de contestation et d’appel à la mobilisation. Il faut s’assurer d’avoir de l’écoute. Quand il y a une menace, quand il y a des projets de déconstruction de l’éducation, quand il y a des dangers dans l’air que l’on perçoit, je pense qu’il faut tout de suite commencer les actions, dans le dialogue ou la protestation. Il est aussi extrêmement important de faire un travail éducatif. (...)

En Hongrie, l’éducation est devenue un sujet de société qui est abordé par tous les médias, indépendants et pro-gouvernementaux. Même le gouvernement se sent maintenant obligé de parler d’éducation autrement qu’en des termes techniques qui étaient ceux des réformes.

Mon implication dans le mouvement Tanítanék m’a coûté mon travail, puisque j’ai été licenciée pour désobéissance civile, mais après des années de silence de la part du gouvernement sur les conséquences concrètes des réformes sur les enfants, il a été obligé de réagir. Nous n’avons donc pas récolté que la vengeance. Nous avons obtenu la reconnaissance collective et effective des conséquences néfastes des réformes sur la scolarité des enfants.

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 (France TV info)
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