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« C’est la réforme de trop ! »
#Chomage #Macron #Attal #inegalites #emploi
Article mis en ligne le 4 avril 2024
dernière modification le 2 avril 2024

Le système français de protection sociale, Jean-Claude Barbier, Michaël Zemmour, Bruno Théret, éditions La Découverte (2021).

(...) Michaël Zemmour : Il y a un acharnement et une incohérence. Un acharnement parce que rien ne justifie cette obsession. Financièrement, l’assurance-chômage se porte bien, elle n’est pas à l’origine du déficit public. En plus de cela, on n’a aucune raison de penser que cette nouvelle réforme produira de bons résultats économiques, notamment sur la réduction du chômage. C’est aussi une incohérence parce que si l’on enchaîne trois réformes en si peu de temps, c’est que les précédentes n’étaient pas bonnes. En l’occurrence, je pense qu’elles n’étaient pas bonnes mais elles n’ont pas été évaluées, donc on n’en voit même pas les effets. (...)

Comment expliquer cet acharnement ?

Il y a plusieurs pistes d’explication. Il y a clairement une volonté de mettre sous pression le marché du travail dans son ensemble, et pas uniquement les chômeurs. On sait que plus on dégrade les conditions d’indemnisation du chômage, plus on dégrade les conditions de négociation d’embauche et de salaire. C’est un signal envoyé aux personnes au chômage pour que, lorsqu’elles retrouvent un emploi, elles ne soient pas trop exigeantes sur les conditions de travail et le salaire. Mais c’est aussi un signal pour les salariés en poste (...)

si vous êtes trop revendicatif, si vous avez une rupture conventionnelle, vous avez d’autant plus à perdre. (...)

l y a une seconde raison qu’on avait déjà vu avec la réforme des retraites. Le gouvernement a créé un déficit avec de nombreuses baisses d’impôts pour les classes moyennes, pour les riches et les entreprises. Donc il veut se servir des budgets sociaux comme caisse de compensation. Ainsi, il diminue les protections retraite, les protections chômage comme une source d’économie facile (...)

Aujourd’hui, il y a plein de raisons pour lesquelles il y a du chômage. La première étant le rythme de l’activité économique. D’ailleurs, on voit bien que quand la conjoncture s’améliore, le chômage baisse et quand elle ralentit, il augmente. Mais le montant des allocations-chômage ne fait pas du tout partie des raisons principales. (...)

on dispose d’évaluations sur les aides aux entreprises qui montrent que, a minima, on a été trop loin. C’est-à-dire que c’est trop cher pour l’effet qu’on en retire en matière d’emploi et de compétitivité. En revanche, quand il s’agit des politiques sociales, et en particulier du chômage, on fait des politiques extrêmement dures, sans évaluation et on en rajoute, encore et encore. Donc il y a une asymétrie (...)

avec ces réformes, on dégrade le niveau de vie des personnes au chômage et de leur famille. En France, une personne sur trois au chômage vit sous le seuil de pauvreté et les personnes pauvres ont des enfants. Il y a 20 % d’enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté. De ce point de vue là, les réformes du gouvernement sont dangereuses socialement. Et à ce titre, j’ai le sentiment que cette réforme, c’est la réforme de trop ! (...)

Les syndicats sont un peu épuisés par les précédentes réformes contre lesquelles ils se sont fortement battus. Là, j’ai la sensation qu’on arrive à un moment où leurs arguments sont en train de percer. Mais, effectivement, il y a un vrai enjeu organisationnel pour eux. (...)

Oui, l’assurance-chômage a une dette, mais elle est supportée par elle-même et pas par l’État (...)

Sauf que depuis 2018, l’État truque le jeu de la démocratie sociale en donnant systématiquement aux partenaires sociaux des feuilles de route intenables qui feront échouer la négociation. C’est donc faussé d’entrée. Ensuite, il utilise un artifice juridique disant que la négociation est en carence et donc qu’il reprend la main. Alors, il prend des décisions que jamais les partenaires sociaux n’ont formulées. Des réformes très dures dont on se sert pour récupérer de l’argent. C’est ce petit jeu qui dure depuis 2018. (...)

Le gouvernement souhaiterait étatiser complètement l’assurance-chômage. Bruno Le Maire a dit qu’il y était favorable. C’était d’ailleurs évoqué dans le programme d’Emmanuel Macron. Et ça, c’est une volonté non seulement de diminuer les protections collectives, mais aussi de raser les corps intermédiaires et la démocratie sociale. (...)

Il y a un vrai tournant autoritaire de la politique économique et sociale du côté du gouvernement. C’est préoccupant parce que, pour les partenaires sociaux, l’assurance-chômage c’est d’abord une sécurité pour les salariés. (...)

En plus, une étatisation affaiblirait fortement les partenaires sociaux. Il y aurait le président et le peuple, sans rien entre les deux. C’est une relation très verticale qui est dangereuse, d’autant plus avec le risque de voir l’extrême droite arriver au pouvoir. (...)

’en France, avec l’école, la santé et les retraites, on a fait le choix de socialiser des fonctions qui dans d’autres pays sont privatisées. (...)

Ce choix de la socialisation est plutôt efficace et égalitaire.

Plutôt ?

On peut se demander si le sous-financement des services publics – école, santé… – n’est pas en train de mettre en crise quelque chose qui marchait plutôt bien. Le plus préoccupant aujourd’hui, ce sont les difficultés de recrutement dans l’éducation, dans la santé, qui traduisent de vrais dysfonctionnements (...)

Je pense que c’est important de taxer les riches, surtout en ce moment. Il y a vraiment des marges de manœuvre budgétaire de ce côté-là. Mais je pense aussi que ce n’est pas la réponse à tout, notamment quand on parle du modèle social. Historiquement, il y a toujours eu une contribution du profit au fonctionnement collectif, mais le modèle social a toujours essentiellement été financé par les ménages. Par les salariés, pour les salariés. Donc si on a des besoins qui augmentent, ça passera aussi par une mise en commun des ménages, avec une augmentation des impôts pour certains d’entre eux. Il faut ainsi rappeler qu’il y a des taux d’épargne élevés. (...)

ce serait sérieux de se demander comment va fonctionner notre économie dans un monde avec une croissance faible, voire nulle car cela pose plein de problèmes en termes d’emploi, de chômage, de répartition des ressources, etc. (...)

Cette réorganisation sociale passe forcément par une réorganisation des conditions de la production. Combien de temps on travaille ? Qu’est-ce qu’on produit ? Ce sont des choix politiques. Mais, clairement, on est dans une société qui est organisée autour de la croissance. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a des difficultés. On a gardé cette organisation alors que la croissance n’est plus là. (...)