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Reporterre
Au Liban, une oasis agricole résiste aux bombes
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #hezbollah #Liban #Yemen #Syrie #USA
Article mis en ligne le 24 octobre 2024
dernière modification le 22 octobre 2024

La vallée de la Bekaa, grenier du Liban, est bombardée par Israël depuis plusieurs semaines. Une région épargnée sert de refuge et lutte pour la survie du secteur agricole.

(...) Ces chevaux ont survécu aux bombes israéliennes, des plaies béantes tachent leur poil, leurs yeux s’affolent au moindre bruit.

C’est ici, dans le centre de la vallée de la Bekaa, que dix-huit chevaux rescapés de frappes aériennes sur le Liban-Sud ont trouvé un nouveau chez-eux. Ils ont eu de la chance : autant sont morts dans le bombardement de l’écurie voisine quand Israël a lancé sa grande offensive aérienne puis terrestre sur le Liban, à partir du 23 septembre dernier. (...)

Des régions entières du sud du pays et de la vallée de la Bekaa sont bombardées quotidiennement, à l’exception de Bar Elias, alors que des troupes israéliennes tentent de prendre le contrôle des villages le long de la frontière. (...)

Sauvés des ruines puis acheminés par un convoi de camions, les pur-sang demandent maintenant une attention permanente aux employés de l’écurie qui les a recueillis. « En arrivant, ils étaient fatigués, certains blessés, et la gravité de leurs maux s’est révélée les jours suivant leur arrivée, explique Jaafar Araji, 32 ans, employé de l’étable familiale. Ils avaient perdu presque la moitié de leur poids. On ne sait pas exactement combien de temps ils sont restés sans nourriture, leur propriétaire n’a pas pu atteindre l’étable les deux premiers jours à cause des bombardements. »

Une jument à la robe alezane, une blessure sur le flanc, nous regarde avec tristesse. « Elle a fait une fausse couche en arrivant, tellement elle était traumatisée et affaiblie. On est restés toute la nuit avec elle pour la rassurer et qu’elle ne perde pas la tête », dit-il avec émotion. (...)

L’écurie avait déjà sauvé des chevaux de la guerre civile syrienne, et va en sus accueillir une vingtaine de chevaux dont le propriétaire a été tué par une frappe à Baalbek. « Quand on voit qu’Israël bombarde des fermes, des écuries, et tue ces animaux innocents, c’est injuste. Même si leur propriétaire faisait partie du Hezbollah, quelle était la faute des chevaux ? » déclame Zakaria Araji.

Lui et ses proches sortent les chevaux rescapés, leur administrent des médicaments malgré l’absence de vétérinaires fiables — et accessibles — au Liban, les nourrissent malgré l’inflation et la difficulté de trouver du foin en temps de guerre. Personne ne sait s’ils rentreront chez eux (...)

C’est que la région de Bar Elias, à majorité musulmane sunnite et sans grande implantation du Hezbollah, est relativement épargnée par les attaques israéliennes. Devenue un refuge, elle abrite toutes sortes de déplacés — même les vaches d’Ali Abbas al-Nahri. Agriculteur et éleveur originaire d’une région agricole à une dizaine de kilomètres au nord, il a fui les bombardements avec quinze de ses vaches Holstein et montbéliardes. (...)

« On ne peut pas compter sur l’État libanais, alors on s’entraide entre nous » (...)

L’agriculture au point mort

La guerre est une catastrophe pour le secteur agricole au Liban — certains la qualifient même d’écocide. Au Liban-Sud, 2 000 hectares d’oliveraies, champs de tabac, bananeraies et vergers ont brûlé sous les bombes israéliennes, notamment à phosphore blanc, en un an de guerre, et 12 000 hectares ont été abandonnés, alors qu’1 million de personnes ont été déplacées par les bombardements. Au total, 46 000 agriculteurs libanais auraient été touchés par la guerre. Alors qu’Israël a détruit les champs de Gaza et créé une famine qui ravage l’enclave palestinienne, le Liban craint de subir le même sort. (...)

Partir ou rester ? Cette question taraude aussi les employés de Buzuruna Juzuruna, la plus célèbre ferme agroécologique du Liban, située à Saadnayel, à un quart d’heure de Bar Elias. Syriens, Libanais et Français y travaillent ensemble pour une agriculture bio et locale, en circuit court : le concept est révolutionnaire dans un pays dominé par l’agro-industrie. Mais même ce havre solidaire et alternatif n’est pas épargné par la guerre. (...)

En attendant, les vingt employés se sont retroussé les manches pour venir en aide aux déplacés de guerre. (...)

La ferme aura distribué gratuitement plus de 2 tonnes de lentilles, mais aussi des fèves, pois chiches, petits pois et du boulghour issus de leurs réserves.

« L’idée derrière notre ferme a toujours été l’autosuffisance et la souveraineté alimentaire en cas de catastrophe : cela fait huit ans qu’on s’acharne pour en arriver là », affirme fièrement Walid. Buzuruna Juzuruna est ainsi devenue un îlot de solidarité et un havre de paix en temps de guerre. Mais, quelques jours après la visite de Reporterre, une maison appartenant à un cadre du Hamas a été bombardée à quelques centaines de mètres de la ferme. C’est la nouvelle réalité au Liban : aucun lieu, aussi sûr soit-il, n’est totalement à l’abri des bombes. (...)