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Mediapart
Après trois ans de lutte, les autorités détruisent le piquet de grève des sans-papiers de Chronopost
#sanspapiers #migrants #immigration #Chronopost #repression
Article mis en ligne le 2 novembre 2024
dernière modification le 1er novembre 2024

Ce jeudi 31 octobre au matin, le campement des travailleurs sans papiers de Chronopost, à Alfortville, a été évacué par les forces de l’ordre après 36 mois de mobilisation pour obtenir leur régularisation. Le collectif assure qu’il poursuivra son combat.

AlfortvilleAlfortville (Val-de-Marne).– Les pelleteuses ont commencé à tout rafler, jeudi 31 octobre au matin, sous le regard désabusé des membres du collectif des travailleurs sans papiers d’Alfortville. C’est ici, devant les entrepôts de l’entreprise Chronopost, qu’un piquet de grève devenu campement de fortune résistait à l’usure du temps et des corps depuis trois ans. « Ils ne nous ont pas prévenus », lâche Aboubacar, un des délégués du collectif, qui assure que l’arrêté scotché sur un poteau plus loin n’était pas là la veille. Quatre-vingts personnes occupaient les lieux et dormaient sur place depuis le début de la grève, entamée en décembre 2021. (...)

Trop tard pour récupérer ses effets personnels, dont le passeport et la carte d’identité nationale de son pays d’origine. « C’est foutu. » Il ne sera plus possible de faire de quelconques démarches auprès de l’ambassade du Mali à Paris.

Un autre avait 2 000 euros en espèces dans l’un des baraquements où il dormait, poursuit Aboubacar. Le fruit d’un dur labeur auprès d’entreprises peu scrupuleuses qui n’hésitent pas à embaucher des sans-papiers pour les exploiter. « La police ne les a pas laissés récupérer leurs affaires. » (...)

La mobilisation devait permettre à ces sans-papiers, embauchés par des agences d’intérim avec un alias (autrement dit, le document d’identité d’un autre), d’obtenir une régularisation via la circulaire Valls qui, sur des critères bien définis, peut offrir la possibilité à des personnes en situation irrégulière d’obtenir enfin un titre de séjour. Mais depuis le début de la mobilisation, seuls 15 dossiers ont été acceptés par la préfecture.
Effet de surprise

Ce jeudi matin, tous ont le regard désespéré, impuissants face aux dégâts des pelleteuses et au cordon de CRS venus s’assurer qu’il n’y aurait pas de résistance (...)

« L’État pense qu’on est là pour profiter, alors qu’ici tout le monde travaille. Le préfet et le ministre de l’intérieur sont fiers de faire ça » (...)

Nathalie, une habitante d’Alfortville venue en soutien des travailleurs sans papiers, abonde : « C’est pour faire plaisir au Rassemblement national. » Bruno Retailleau est « contre les immigrés », commente Kandé, « depuis toujours ». « Il veut casser la lutte en faisant ça. » (...)

Sollicité par Mediapart, le cabinet du maire indique avoir « toujours » soutenu le piquet de grève, sur le plan à la fois politique et financier. « On a eu une réunion avec le collectif au printemps dernier, durant laquelle un délégué a énoncé le souhait de mettre fin au piquet. Une partie des grévistes restait réfractaire à l’idée, et nous avons proposé d’aller jusqu’à la fin de l’été pour qu’ils puissent s’organiser. »
La nécessité de poursuivre la lutte

Ce délai aurait ensuite été décalé au 31 octobre à la suite d’une autre réunion fin août dernier. « Nous leur avons dit clairement que la ville ne pourrait plus assumer financièrement ensuite. » « Ils ne nous ont jamais parlé d’un arrêté d’expulsion, ni dit qu’il faudrait partir », rétorque Aboubacar. Si l’État « oblige » la ville à prendre un arrêté pour des « questions purement juridiques », le cabinet du maire assure que c’est bien le ministère de l’intérieur qui souhaitait « évacuer les lieux dès que possible ».

Interrogée sur l’effet de surprise infligé aux grévistes, la ville reconnaît n’avoir pas envoyé de courrier ou de représentant avant l’évacuation, mais dit être « dans les clous » : « Tous les partenaires étaient au courant. L’arrêté a bien été affiché 48 heures avant l’évacuation. S’il y a eu un trou dans la raquette, cela ne vient pas de nous. » Elle précise qu’elle continuera de « soutenir la lutte ». (...)

Pour Louis Boyard, député La France insoumise dans le Val-de-Marne, l’évacuation est liée au changement de préfet dans le département. « L’ancienne préfète est partie et un autre assure l’intérim. Ils profitent de la situation », juge-t-il aux côtés des grévistes dépités.

En les écoutant, il ajoute : « Ils ont toujours été droits. Ils déclarent leur piquet chaque semaine et respectent la loi. Ils rentrent dans les critères de la circulaire Valls pour être régularisés, mais ils ne le sont pas. C’est une trahison. » (...)

Le parlementaire se souvient d’une discussion avec Philippe Wahl, patron de La Poste, au cours de laquelle il a évoqué leur cas. « J’ai parlé d’esclavagisme moderne, il a dit qu’il avait conscience de cette situation, mais que sans la sous-traitance, son modèle économique ne tiendrait pas. (...)

« On participe à la vie économique de ce pays. On a accepté l’esclavage moderne. On ne profite de rien ici, par contre les politiques et les patrons voyous profitent de nous ! »

Aujourd’hui plus que jamais, le délégué du collectif sait que la lutte doit se poursuivre, malgré ce coup de massue. (...)