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Orient XXI/ Journal de bord de Gaza 47
« Après la guerre, une autre catastrophe nous attend »
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza
Article mis en ligne le 26 août 2024
dernière modification le 24 août 2024

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre son appartement de la ville de Gaza avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, deux ans et demi, sous la pression de l’armée israélienne. Réfugié depuis à Rafah, Rami et les siens ont dû reprendre la route de leur exil interne, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.

Mardi 20 août 2024.

Je discutais aujourd’hui avec mon ami Mounzer, qui est avocat depuis presque dix ans. Comme moi, il habitait Gaza-ville et il a été forcé de se déplacer, avec le même itinéraire : d’abord Rafah, puis Deir El-Balah. Je lui ai demandé comment il voyait l’après-guerre. Une question qui me tracasse, parce que des « après-guerre », nous en avons déjà vécu plusieurs, et mon constat, c’est qu’après la guerre, il y a toujours une autre guerre. (...)

Mounzer me dit : « Après la guerre, une autre catastrophe nous attend. » Il m’a donné plusieurs exemples de familles étendues qui ont été entièrement effacées de l’état civil

« Normalement, les successions se font dans un ordre vertical. Les enfants héritent des parents. Là cela se fera en horizontal, entre cousins par exemple, ce sera très compliqué. » Mais la vraie catastrophe, a ajouté mon ami, c’est qu’il n’y a plus d’archives pour documenter ces procès. Pour la première fois depuis 1948, les Israéliens ont brûlé les archives des tribunaux, ainsi que ce qu’on appelle le « taabou », c’est-à-dire le registre foncier, où l’on enregistre les propriétés, les bâtiments et surtout les parcelles de terrain.

Les Israéliens ont méthodiquement fait exploser le palais de justice, où se trouvaient les archives judiciaires, ainsi que le bâtiment qui abritait le cadastre et le registre foncier. Ils l’ont fait sciemment, pour détruire la société gazaouie, pour détruire un tissu social qui était très dense. Jusqu’ici, ils s’en étaient abstenus, une façon de reconnaitre, implicitement, l’existence des Palestiniens. Là, ils veulent effacer toute preuve de notre appartenance à cette terre. C’est complètement inédit. (...)

Certes, une partie de ces archives ont été numérisées, mais beaucoup de gens vont mettre en doute l’authenticité de ces documents numérisés. Pour eux, seul le papier fait foi. Celui qui a gardé un bout de papier peut gagner, mais pour celui qui n’a rien, ce sera difficile. Il y aura des problèmes au sein d’une même fratrie, entre les enfants, entre les oncles, alors que la majorité des gens à Gaza ont perdu la preuve de la propriété de leur terrain. Mounzer me dit qu’après 2014, on a vu le tissu social commencer à changer. Demain, ce sera pire qu’un changement, ce sera une catastrophe, vu la misère qu’on est en train de vivre, le nombre de tués et le niveau de destruction.

Il y aura aussi la question des orphelins. Qui devra adopter qui ? La famille paternelle ? Ou bien la famille maternelle ? Mais si beaucoup d’enfants ont perdu leur mère ou leur père, nombre d’entre eux ont perdu les deux. D’après les Nations unies, entre 15 000 et 25 000 enfants ont perdu un de leurs parents. Dans beaucoup de familles, tout le monde est mort. (...)

« Je suis sûr qu’après cette guerre-là, il n’y aura plus de justice sociale, il n’y aura plus de tissu social, il n’y aura que des problèmes », me dit Mounzer. Pour la reconstruction, il faudra prouver qu’on possédait telle ou telle parcelle, et ce sera impossible en l’absence du registre foncier. Or, quand l’armée israélienne détruit un lieu, elle rase tout. (...)

Les survivants de ce génocide seront contents d’en être sortis vivants, mais une nouvelle guerre va commencer pour eux : celle pour la reconstruction, pour avoir de l’argent, pour reconstruire sa maison. La guerre pour savoir qui hérite de quoi, pour les études, pour les enfants. Et surtout, la guerre de la santé mentale. Nul ne sait dans quel état psychologique nous allons sortir de toute cette destruction. Il n’y aura plus de vie à Gaza.

La guerre des Israéliens, ce n’est pas seulement des chiffres, des morts ou des maisons détruites. L’après sera aussi terrible, plus grave d’une certaine manière que la guerre elle-même. (...)

Les survivants de ce génocide vont affronter une autre guerre, encore plus terrible.